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Etat d'urgence

+ d'infos sur le texte de Falk Richter traduit par Anne Monfort

: Note d'intention

Pourquoi Richter ? Falk Richter représente pour moi l’ultra-contemporain. Il nous parle du monde d’aujourd’hui, et mêle l’intime au politique. Il travaille autour de thématiques contemporaines. Dans son écriture, Falk Richter développe un rapport organique à la langue. Il travaille à l’oreille et procède par associations d’idées, travail qui peut se rapprocher de celui de David Lynch au cinéma. Son écriture cherche un décalage avec le réel.
En même temps, on s’aperçoit que dans Etat d’Urgence, le dialogue est classique, le langage est simple, les situations concrètes… L’écriture conventionnelle du théâtre est traversée par des préoccupations contemporaines, qui révèlent des fortes tensions : « les pathologies de nos démocraties occidentales actuelles » : l’ultra sécurité, le quadrillage urbain et péri-urbain, la notion de performance et d’évaluation au travail, l’angoisse du déclassement, la baisse d’excitation, la crise de la parentalité face à une adolescence catastrophique, l’affrontement outrancier au père, la crise conjugale, le rapport au réel, l’apathie et la question de la révolte. Toutes ces thématiques se retrouvent dans la pièce. Richter nous parle de tout cela.
Etat d’Urgence est sans doute l’un de ses textes les plus immergés dans notre époque. C’est peut-être même une pièce d’anticipation sur les dérives de ce monde.


Etat d’Urgence : il s’agit d’un homme et d’une femme qui vivent dans une cité protégée comme on peut en trouver aux Etats Unis, dans les pays latinos et asiatiques. La femme interroge l’homme sur sa perte de performance au travail… performance sexuelle ? Si l’homme ne retrouve pas le « plaisir » au travail, ils risquent l’expulsion de la communauté et le retour dans « l’enfer – réalité » extérieur. Un garçon traverse la pièce à un moment, mais n’offre aucune résolution à l’énigme.
La cité protégée dans laquelle vit cette « famille » s’apparente à celle décrite dans le film documentaire de Luiza Campos : « Les prisonniers du luxe », qui parle d’Alphaville, cité protégée à Sao Paulo. Cette communauté est retranchée derrière un mur, 60 000 habitants y vivent, protégés de l’extérieur. Ils représentent une population « qui a réussi ». Tout y est organisé pour le bien-être des habitants : du travail aux loisirs, tout y est contrôlé et prédéterminé.


Qu’est-ce qui m’intéresse dans tout cela ? Avec Frédéric Vossier, dramaturge de la compagnie, nous avons lu un essai sur les cités protégées aux USA de Jérémy Rifkin. (Essayiste américain, spécialiste de la prospective économique et scientifique). Il définit les rapports humains dans ce système comme des rapports marchands. Les résidents de ces communautés sont prêts à renoncer à une partie de leurs droits (la liberté de se déplacer, de s’associer librement, de s’exprimer…) pour leur sécurité. Là, il n’y a pas de révolte ou de remise en cause du système : elle entraînerait fatalement l’exclusion. On voit que le lieu communautaire est quelque chose qui peut s’acheter désormais, plutôt que le fruit d’une création collective.
Etat d’Urgence nous parle de cette marchandisation des relations à autrui. J’ai envie de montrer cette déshumanisation dans les relations.
Richter traite de l’influence des images, des lieux sur les individus. Comment, inconsciemment, cela nous change ? Comment notre identité se perd dans ce système ? Comment être soi-même quand les mots ne nous appartiennent plus ?
Il ne s’agit pas un théâtre de la révolte mais plutôt d’un théâtre de la perte d’identité. Nous ne sommes pas contre le système, en dehors, nous sommes tous dedans.
Je souhaite montrer ce « réel », et pour cela, il faut confronter les gens à une étrangeté. L’inquiétante étrangeté (en allemand unheimliche, qui est l’angoisse face aux choses connues et familières) nous décale du réel. Ce qui m’intéresse c’est de « rendre énigmatique ce qui nous est connu ». C’est l’objet du travail du photographe Gregory Crewdson qui dépeint le réel avec des choses infimes, des personnages habités, éclairés par une lumière très particulière. Sans le copier, ce travail est une inspiration pour moi.


De l’écriture dramatique au travail de plateau, je m’appuie sur une phrase de Falk Richter « Le théâtre offre l’occasion d’aiguiser sa perception sur l’état du monde » ou comment mettre le spectateur en position de regard critique ? En fait, plus on cache, plus on a envie de voir, et plus le spectateur est intéressé. Pour cela, il faut renforcer le 4ème mur, créer un dispositif de proximité : « vous êtes dehors, et vous avez l’impression d’être dedans », au même titre que dans « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock. Nous avons créé une boîte fermée et vitrée avec 2 baies, représentant un intérieur d’appartement. Les acteurs sont dans cette boîte. A partir de là, nous avons travaillé à transformer le réel à partir de 4 éléments :


1. D’abord le travail sur la lumière : nous passerons d’une lumière blanche d’appartement, « l’espace immaculé de la perfection » à l’incandescence, à une sur- exposition.
2. Modifier la perception de l’espace et de la profondeur de champ : Faire apparaître/disparaître des ouvertures au lointain. Le plasticien Albrecht réalise un travail similaire sur de petites maquettes.
3. Travail important sur le son : La parole des comédiens est diffusée en dehors de la boîte. A l’extérieur, les sons de la nature (bruit des vagues) se mélangent avec des sons fictionnels. Comment passer de l’intérieur à l’extérieur ? Ce travail permet de dessiner un univers particulier, d’angoisse et accompagne la tension qui s’accumule durant la pièce.
4. La pièce n’est en fait qu’une seule scène d’1h15, c’est un mouvement continu où l’on change fréquemment de sujet, mais sans que l’on s’en rende compte. C’est une pièce très dense et efficace : une overdose.


Etat d’Urgence est une pièce faite pour les acteurs. Ils sont au centre du travail de création et je m’intéresserai tout particulièrement à faire entendre par un jeu guidé et serré des acteurs, cette déshumanisation qui nous guette. Ces cités protégées condensent l’état du monde d’aujourd’hui.

Jean-Pierre Berthomier

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