Depuis la chute du Mur de Berlin, l’économie libérale et la dérégulation des marchés se sont imposées comme la seule alternative aux régimes fondés sur le socialisme et leur impasse totalitaire. Initialement associé à l’idée de démocratie, le libéralisme – porteur à l’origine d’idéaux de liberté et de progrès –, s’est transmué en un totalitarisme d’un genre nouveau où, au nom de la libre concurrence, c’est la course au profit qui s’exalte et exulte. Là, chaque individu se voit jaugé à l’aune de ses performances et, redoutant de rester sur la touche, déploie toutes ses capacités pour conserver une place chèrement acquise.

Inscrite dans une certaine tradition du théâtre allemand pour un théâtre de résonances hic et nunc, la pièce déroule ses drames dans l’espace privilégié de la sphère familiale. C’est dans la profondeur de cette intimité que se révèlent les souffrances muettes et les névroses des grands ensembles. Inscrits dans notre époque ou anticipés de peu, les personnages sont investisseurs, patrons, salariés ou travailleurs indépendants. Ils se débattent dans un système sans merci qui les pousse au mensonge, au vol, à toutes les violences, pour survivre au détriment de l’autre. Fût-il sa famille. Le temps réel de l’action serait alors peut-être celui d’une folie paroxystique des démocraties aliénées.

Eldorado est une oeuvre politique sur ce délitement des relations humaines et sociales, nouveau malaise de notre civilisation.
L’écriture parfaitement ciselée du dramaturge agit comme autant de frappes chirurgicales en contrepoints de silences aussi violents que Le Cri de Munch, où se révèlent les souffrances indicibles et se trahissent les jeux immoraux.