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Dunant

+ d'infos sur le texte de Michel Beretti
mise en scène Simone Audemars

: Henry Dunant par Michel Beretti

La vie d’Henry Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge, est encore mal connue
On en parle souvent aujourd’hui comme on parle d’un saint. Cela n’a pas toujours été le cas: pendant un demi-siècle, jusqu’à la tardive redécouverte de Dunant vivant en ermite à Heiden, dans l’Appenzell, on l’avait purement et simplement oublié. Gustave Moynier, l’autre artisan de l’édification de la Croix-Rouge, parlait de Dunant dans ses Mémoires comme d’un faussaire et d’un escroc. Les facettes de la vie de Dunant sont multiples: le samaritain de Solférino et l’affairiste, le philanthrope et le colonialiste, le représentant en instruments musicaux bizarres et l’auteur à la plume mercenaire. Il faudrait parler des vies d’Henry Dunant. Il y a aussi là un drame. Dunant l’affairiste échoue-t-il à cause de Dunant le philanthrope ? “L’œuvre” a-t-elle épuisé toutes ses forces, canalisé toutes ses énergies, y compris sexuelles, comme certains le prétendent toujours ? L’homme est fascinant en ce qu’il est contradictoire, aussi contradictoire que la vie: Dunant a voulu s’enrichir grâce à la Croix-Rouge en vendant des pansements ! Exaspérant et charmeur, passionné et cynique, mythomane et calculateur, Henry Dunant est un étonnant personnage de théâtre, entraînant avec lui tout un siècle. Il n’existe pas de biographie complète de Dunant, ce n’est sans doute pas un hasard. Le théâtre seul, dans sa souplesse, la mobilité de ses points de vue, était sans doute capable de représenter une telle vie.


Pourquoi porter à la Scène la vie d’un homme du XIXe Siècle, aussi prestigieux soit-il, au début du XXIème Siècle ?
Henry Dunant est, partout dans le monde, l’un des visages de la Suisse. Au cœur de l’Afrique, on peut trouver des bandes dessinées racontant sa vie et montrant Genève et Heiden... Le moins qu’on puisse dire est que ce visage de la Suisse est contradictoire. Comment se fait-il que Dunant, visionnaire, échoue à inscrire son œuvre dans le réel, connaisse une vie d’expédients ? Pourquoi notre pays produit-il ce genre d’hommes, et les broie-t-il aussitôt ?
Car Dunant n’est pas seul dans son cas: parlez de la Suisse à un Américain cultivé, et il évoquera Adolf Wölfli, à un Allemand, et le nom de Robert Walser lui vient aussitôt: un fou, un écrivain qui n’a presque rien publié de son vivant et un philanthrope illuminé, affairiste failli un peu escroc sur les bords. Malgré qu’on en ait, ces trois hommes sont nos héros. Parler de Dunant, c’est parler de la Suisse. Et la Suisse peut être mesquine et généreuse, elle peut être tragique et terrible pour les individus, et ouvrir les chemins de l’avenir. En cette année où la Suisse cherche à saisir dans le miroir d’une Exposition nationale à la difficile genèse ce que sera son avenir, cette œuvre théâtrale est une pièce apportée au débat. Dunant, la pièce, est une tragédie de l’inachèvement, une “tragédie helvétique”.


La Croix-rouge est solidement installée sur ses bases genevoises grâce au rival de Dunant, Moynier
La grande organisation, obéissant au principe de neutralisation inspiré par Dunant à ses débuts, est parfois paralysée dans ses efforts par ce même principe; les ONG le lui reprochent, et revendiquent l’ingérence humanitaire. Reçu par les souverains et pourtant solitaire et famélique, Dunant, exclu de la Croix-Rouge, a continué son chemin, seul. Le jeune affairiste ambitieux, le samaritain de Solférino s’est mué en un prophète issu de l’Ancien Testament jetant des éclairs d’Apocalypse. Alors qu’il marche sur la crête de la folie, qu’il se croit suivi pas à pas et persécuté par les Genevois et leurs “alguazils” à travers l’Europe, Dunant sème des idées que le monde d’aujourd’hui cherche à réaliser, des questions qu’il se pose. Dunant nous parle de notre présent. Alors que la Croix-Rouge cherche à réduire les effets terribles des guerres, Dunant entreprend la tâche de les supprimer et de militer pour la paix et la compréhension entre les peuples. Devenu anticolonialiste, il parle du déséquilibre économique entre pays riches et pays pauvres, annonce l’interaction des événements d’un bout à l’autre du globe, les révoltes des pays pauvres et le surgissement des fanatismes; à notre société (qui se berçait il y a peu de l’illusion qu’une compagnie nationale pouvait être immortelle). Il annonce la mobilité incessante des choses; bouleversé par le spectacle de la Commune de Paris, il lit Marx et apporte ses propres réponses à la question sociale; contre la guerre, il préconise une cour d’arbitrage permanente; il demande la séparation de l’Eglise et de l’Etat pour éviter l’intolérance religieuse, l’égalité des droits du père et de la mère de famille, l’institution d’un code universel des droits de l’homme etc. Dunant n’est pas une pièce historique, mais questionne notre présent.

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