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Dramuscules

+ d'infos sur le texte de Thomas Bernhard traduit par Claude Porcell
mise en scène Matthias Urban

: A propos du spectacle

LES HISTOIRES


Pour sa deuxième mise en scène, Matthias Urban a choisi, parmi les Dramuscules de Thomas Bernhard (écrits entre 1978 et 1981 et publiés en français en 1991), deux pièces courtes: «Le Mois de Marie» et «Match».


Le Mois de Marie


Deux femmes sortent de l’église sur les dernières notes de L’Ave Maris Stella qui met un terme à la messe du dimanche. Devant la porte, les dames discutent, intriguent, commentent la vie du bourg et épinglent leurs contemporains. Avisant le croque-mort qui creuse une tombe, elles évoquent la récente disparition de Monsieur Geissrathner. Tué sur le coup lors d’un tragique accident, renversé par un cycliste d’origine turque, Monsieur Geissrathner devient un martyr. Le discours est un enchaînement de ragots et de poncifs, culminant sur une détestation exacerbée des étrangers.


Match


Intérieur nuit. Un couple s’occupe pendant la tombée de la nuit. La femme sollicite l’attention de son homme. Ce dernier, planté devant un match de foot à la télévision, ne lui prête aucune attention. La femme monologue et plonge petit à petit dans le désarroi le plus profond. Son soliloque dévoile tour à tour et dans le désordre ses désirs, ses frustrations, ses peurs et se cristallise dans une apogée finale, dans l’obscénité, la violence et la haine de l’autre.



INTRODUCTION


« Je trouve dans l’univers de Thomas Bernhard des échos à celui de Fin de partie de Samuel Beckett, pièce que j’ai eu l’occasion de monter au Théâtre 2.21 en mars 2006. Des similitudes s’établissent dans les textes de ces deux dramaturges tant sur le plan littéraire que formel : une esthétique de la sobriété, un théâtre de l’angoisse et de l’absurde, un soin d’orfèvre apporté à la composition des dialogues. Les textes de Thomas Bernhard résonnent également des mêmes tourments existentiels chers à Beckett ; on y retrouve un humour noir ravageur, des personnages à la fois désespérés et clownesques, un univers où cohabitent farce et tragédie. Enfin, nous avons affaire ici, tout comme dans Fin de partie, à une langue théâtrale qui se donne comme une partition musicale.


L’auteur allemand me permet par contre d’affronter un théâtre plus social et concret, qui s’oppose à la pure abstraction beckettienne. Son théâtre est politique, engagé, et truffé de références à l’histoire. Avec ses pièces courtes et cruelles, il attaque de front la phraséologie et le discours du national-socialisme renaissant, dans une fête jubilatoire qui mêle le grotesque et la dérision. Il dénonce violemment l’hypocrisie et le mensonge qui constituent, à ses yeux, les fondements sociopolitiques du monde actuel.


Dans ce sens, ce spectacle se propose de faire écho à des polémiques actuelles telles que les dernières votations fédérales sur lesquelles le peuple suisse doit se prononcer dans un climat émotionnel et houleux. C’est pour l’équipe un moyen de poursuivre le débat avec les moyens que lui offre l’appareil théâtral.


Après l’univers de Beckett, où le rire se conjugue à l’angoisse dans une abstraction pure, Thomas Bernhard propose une réalité distordue, poétique, féroce et burlesque, que la Cie Générale de Théâtre souhaite faire partager au public.



POLITIQUE


Avec ces « minuscules drames » en un acte, écrits entre 1978 et 1981, Thomas Bernhard se propose de mettre en évidence ce qu’il perçoit comme des « relents du nazisme » qui auraient « bien survécus sous les apparences libérales et tolérantes de la société allemande »* . Si certaines de ces pièces font explicitement référence au national-socialisme et aux événements liés à la Seconde Guerre Mondiale (par exemple «Glaces»), d’autres permettent de dégager des thématiques plus globales, sur lesquelles nous mettrons l’accent : la xénophobie et la peur de l’autre.


Avec ces deux Dramuscules il ne s’agira pas de faire le procès de la société allemande. Dans un premier temps, «Le Mois de Marie» est l’occasion de faire écho à des problématiques actuelles dans notre société européenne telles que la montée en force des partis d’extrême droite et la démission citoyenne. Dans un deuxième temps, ces faits de société dévoilent leur revers intime dans «Match», où la peur de l’autre et l’impossibilité de coexister agissent au sein même du couple. En passant de la place du village à la chambre à coucher se dégagent des mécanismes relationnels communs. De petites histoires, des drames minuscules, des faits quotidiens deviennent le terreau d’un drame beaucoup plus large. Ces pièces nous permettent d’explorer et de dénoncer certains comportements sociaux, source du fascisme ordinaire : l’exclusion, l’indifférence, la frustration, l’enfermement. Les personnages et les faits, anonymes et anodins, sont emblématiques ; des bouffons évoluent dans un univers grotesque, et l’on oscille perpétuellement entre le drame et la farce.


La question charnière qui articule l’ensemble peut se formuler en ces termes: quelle possibilité de coexistence et de communication entre les êtres humains, que cela soit sur un plan social ou privé. Dans quelle situation l’autre est perçu comme un danger, une source de destruction (mort effective dans «Le Mois de Marie», mort symbolique dans «Match») ; le rapport entre les hommes est-il à l’image que propose le titre «Match» : deux camps s’affrontent et qu’un seul ne gagne ?


LA LANGUE DE THOMAS BERNHARD


On lit Thomas Bernhard presque spontanément à haute voix et toute son œuvre apparaît comme une matière « à dire, à réciter. Cela démontre à quel point cette œuvre est en syntonie avec la théâtralité»** .


La voix, son impact et sa violence, ses échos, sa déformation, sa musique et ses refrains obsédants, sont au centre du théâtre de Thomas Bernhard. Le texte se lit comme une partition de musique : répétition de motifs, jeu sur les périodicités, scansion du texte, reprise, modulations. Dans ce sens, il ne s’agit pas uniquement d’un théâtre de dialogues, portant sur des débats psychologiques, mais d’un théâtre poétique qui travaille le langage et l’espace comme matériaux physiques. La langue bernhardienne est une véritable pâte à modeler qui, travaillée et pétrie, cristallise le drame qui se joue sous nos yeux.


Le dialogue, sous les atours de la conversation, apparaît au fil du texte comme une espèce de bavardage ininterrompu, une voix qui parle, se parle inexorablement, compulsivement, comme pour se rassurer elle-même. La communication entre individus semble compromise et l’adresse à l’autre est un appel qui reste sans réponse. Les personnages esseulés se retrouvent condamnés à un soliloque invétéré et invertébré.



Le travail sur la langue et la voix devient un enjeu de taille lors des répétitions. En déterminant ce champ d’expérimentation oral, le comédien peut explorer et extraire toutes les gammes et les variations qui font la richesse de ces Dramuscules, et révéler toute la complexité des figures bernhardiennes. Il en ressort, comme chez Beckett, une musique à la fois humaine et abstraite, burlesque et tragique, qui donne une saveur toute jubilatoire à cet objet théâtral.



SCENOGRAPHIE


Il s’agit de créer deux espaces distincts, où situer l’action de «Le Mois de Marie» et de «Match». Le premier dramuscule, «Le Mois de Marie», voit deux vieilles dames au sortir de la messe. Elles commentent et pérorent sur leurs contemporains. Au loin, hors scène, un fossoyeur achève de creuser la tombe de Monsieur Geissrathner, mort il y a peu sous les roues d’un cycliste d’origine turque. La porte de l’église est un élément central, imposant, qui cadre l’espace scénique et lui donne ses limites. Usée, la porte entrouverte laisse passer une lumière qui baigne l’intérieur de l’église. À cheval entre le dedans et le dehors, entre l’ouverture et la fermeture, l’espace scénique devient un entre-deux symbolique, une zone intermédiaire entre le social et l’intime, une antichambre des possibles qui oscille entre d’un côté la fermeture, l’exclusion, l’intolérance, et de l’autre l’ouverture, l’échange et le partage.


La présence menaçante des Turcs est imaginée par l’ondulation sinistre de grandes ombres-marionnettes sur les murs de l’église, venant recouvrir les motifs et illustrations traditionnels bavarois. Les vieilles dames, donnant libre cours à un racisme débridé, disparaissent à l’intérieur de l’édifice à la fin de la pièce.


Le spectacle entre dans la phase du changement, par un mouvement qui va nous faire passer de l’espace extérieur à l’espace intérieur, pour le deuxième dramuscule. Les grandes portes de l’église vont s’ouvrir complètement, révélant l’intérieur simple d’un appartement. Un lit, une table et un téléviseur parmi lesquels les deux acteurs évoluent. On assiste à une fin de journée de travail ordinaire, le couple se retrouve à la maison. On parle peu, chacun vaque, songeur. Puis on glisse dans les premières répliques. La femme monologue, l’homme regarde la télévision. Il faut attendre la toute fin de «Match» pour assister aux retrouvailles de ces deux êtres qui semblent avoir perdu le sens de la communication. La bande son de la télévision envahit l’espace, tonitruante.


Ce spectacle s’articule donc autour de deux lieux, évoquant le dedans et le dehors, le social et le privé. Le dispositif est assez simple, il s’agit avant tout de tourner la page, de passer de la place publique à l’intimité de la chambre. Centrale, cette massive porte d’église devient l’artefact pour délivrer les deux scènes de Thomas Bernhard. Cette opération se trouve renforcée par le fait que les deux comédiens principaux sont les interprètes des deux pièces. La cohérence s’impose à la fois formellement par cette option de mise en scène, et le sens qui se dégagent dans ces dramuscules, où les thèmes récurrents de ces petites scènes se retrouvent unilatéralement. L’univers sonore et musical, autour de l’église et de la télévision, fera également l’objet d’une recherche en lien étroit avec la scénographie. »


* Thomas Bernhard, Dramuscules.
** 2 Eugenio Bernardi, L’envers du miroir.

Matthias Urban

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