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Derniers remords avant l'oubli

+ d'infos sur le texte de Jean-Luc Lagarce
mise en scène Luc Sabot

: Présentation

Jean-Luc Lagarce aime écrire les retrouvailles - d’amis proches par exemple - qui ont partagé, dans le passé, une expérience de vie commune intense. Des retrouvailles qui font suite à de longues années de séparation tendue et froide, pendant lesquelles chacun a fait le deuil de ses illusions, en adoptant un mode de vie classique, comme notre monde moderne nous le dessine. Comme si la déchirure était inéluctable après une tentative de vie qui s’éloigne des schémas plus standard !


Mais les retrouvailles attisent les plaies restées ouvertes et béantes. Le temps ne classe pas les cicatrices dans un passé amnésique. Il parvient juste à les couvrir de regrets, de goût d’inachevé ou d’amertume. Cela même qui mine et qui ronge l’intérieur de soi et qui finit par former un abcès. Les vieux malentendus sont devenus sourds. Les vielles rancoeurs à peine voilées. Les retrouvailles offrent alors un terrain de règlement de compte où l’on retrouve les mêmes impossibilités de s’expliquer ou d’exprimer son opinion sans prendre le risque de se faire attraper par l’autre. Tout le monde se surveille, s’épie, est aux aguets ou sur la défensive. C’est un rapport très animal que l’on enrobe par des couches de courtoisies et de savoir-vivre qui font que l’on ne s’étripe pas. Mais n’importe quelle explosion reste sous-jacente.


Ce que le temps de la séparation a fait changer, c’est qu’il n’y a plus de volonté aveugle et absolue de construire et de partager quelque chose ensemble. Chacun s’est construit une autre vie et ne semble pas la regretter.
Mais alors pourquoi se revoir ? Pourquoi ne pas continuer sa route de son coté et espérer que le temps efface les douleurs du passé ?


La séparation des personnages de la pièce de Jean-Luc Lagarce a laissé des affaires en suspens (affaires prétextées pour se revoir et vérifier que l’on est toujours content d’être séparé ?). Il leur faut alors impérativement se retrouver pour clore un passé en apnée. Ces affaires sont financières. Ce ne sont jamais des affaires simples (n’est-il pas ?). Chacun y va de sa paranoïa, de sa petite remarque humiliante, méprisante ou méchante, de ses allusions, de ses comparaisons. Chacun va chercher à tester l’autre pour se situer lui-même, ou constater les incompatibilités irréversibles qui ont traversé les années de séparation. Chacun cherche à assumer enfin. Chacun tient son rôle. On joue au grand, à celui qui est aujourd’hui détaché, qui a mûri, qui ne tient pas rigueur des tensions passées, qui veut tout arranger avec la plus grande des sagesses. Chacun a sa recette, réfléchie ou instinctive, tendre ou vicieuse. Chacun a aussi sa fierté et sa dignité qui marquent la limite de toutes les meilleures volontés. L’abcès si longtemps retenu, et qui ne souhaitait qu’éclater, rattrape alors chacun dans ses retranchements. Mais pour se prouver qu’ils sont adultes, ils évitent les heurts, les cris de désespoir, ou les scènes d’hystérie. Ils se mentent. Le texte de Jean-Luc Lagarce les trahit.
Le temps est passé sans cicatriser les blessures de chacun. La poudrière de vieilles rancoeurs n’est jamais loin d’éclater. Leurs affaires d’argent sont à régler. Ils se revoient par nécessité. Jean-Luc Lagarce dresse alors un tableau humain très pointu et très aiguisé. Son écriture avance avec précision et minutie dans l’antre du caractère de l’homme, de ses essais de communication nourris de gaffes, de réflexions gauches, de traits d’humour ratés, de silences gênés et pesants, de politesses trop insistées, de précautions langagières forcées, de reproches déguisés, de pensées cyniques ou perverses. Les travers de l’Homme sont décortiqués. Ils en deviennent drôles et émouvants. Les six personnages de Lagarce, contraints à ce huis clos, concernés personnellement par le passé commun ou témoins obligés des retrouvailles, vont alors se livrer à l’exercice laborieux de l’entente commune. L’auteur nous laisse apprécier cette confrontation de loin – en spectateur ! -, nous laissant nous rappeler nos propres échecs humains, exorciser nos propres souffrances, comparer nos réactions et notre caractère avec le recul désintéressé, en observateur détaché. On rit alors de la projection de soi. Cela devient cocasse et drôle, profondément touchant aussi. Parce qu’il est touchant de regarder se tourner une page humaine. Définitivement. Mais tout ceci n’est pas grave.


Luc Sabot

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