theatre-contemporain.net artcena.fr

Débrayage

+ d'infos sur le texte de Rémi De Vos
mise en scène Gilles Guillot

: Présentation

Scénario



Le texte de Rémi De Vos se présente sous la forme de neuf séquences. Sous le titre général de Débrayage, il y traite de l’exclusion et de ses conséquences dans neuf situations et neuf milieux différents. Par « exclusion » il faut entendre exclusion du monde du travail, exclusion d’une société normalisée par des codes, des rythmes, voire un langage qui sont ceux que la rentabilité économique impose à l’ensemble des rouages sociaux.


Chacun des personnages – exclu de son entreprise, de son couple, exclu de ses repères, exclu de son propre équilibre se voit, par sa situation de vacuité, poussé hors de lui-même. Face à ces exclus, on trouve ceux qui – par nécessité d’exister socialement souvent plus que par vocation – sont les agent exécutifs de l’exclusion : DRH, liquidateurs, cadres supérieurs, petits chefs etc… Enfin il y a les témoins ou les victimes co-latérales de l’exclusion : conjoints, enfants, relations amicales etc…


Tous ces personnages, débrayés du grand moteur social, deviennent les jouets de la peur, de l’abandon. La perte des repères et parfois de la dignité les conduisent à des débordements. Le menacé, l’exclu, banni du bien penser et du bien vivre agit sans mesure et, dans ce contexte grave parfois se comporte malgré lui en figure comique. Nous sommes dans une tragi-comédie. Ici, ni bons ni méchants mais des êtres perdus, ballottés, dans la tourmente.


Au delà de la situation évoquée par chaque séquence, se pose la question de l’ambivalence des personnages pris dans un faisceau de contradictions. De victimes, certains se verraient bien, ne serait-ce qu’une fois, en situation de dominant : patron, contremaître… Ainsi, la conscience malmenée de chaque exclu renvoie-t-elle à la fragilité des convictions. En fait, on est avec ce texte aux confins de la vulnérabilité humaine, au cœur même de ce qui reste de l’homme écarté de la mécanique sociale : sa solitude.





Note de mise en scène



Dramatiquement, plutôt que de faire se succéder chacune des séquences avec sa couleur propre, son mobilier, ses accessoires, dans un espace transformable, nous avons choisi l’une d’entre elles ‑ la salle d’attente ‑ pour les contenir toutes. Outre que, métaphoriquement, la salle d’attente est le lieu de tous les possibles elle est aussi un lieu de silence où, dans chaque solitude, s’immisce l’angoisse de la réponse qu’on est venu chercher, où la tension est perceptible, où chacun peut être une gêne pour les autres.


C’est ce foyer de tensions qui constitue la matrice de l’ensemble des séquences. C’est dans cette attente que les protagonistes projettent, dans l’espace laissé libre par les chaises qui bordent le plateau, les situations proposées par l’auteur.


C’est ainsi que , sous l’œil indifférent de ceux qui, non concernés par la séquence en cours, sont restés sur leur chaise à attendre leur tour, se jouent des moments de crise. Tour à tour, nous nous trouvons dans un bureau d’embauche, dans l’appartement d’un couple de bobos, dans une entreprise, dans une rue, dans une salle de gym etc… Ces scènes projetées sont le produit de la situation d’exclusion et d’attente où sont plongés tous les personnages. Rêvent-ils ? Sont-ils les sujets de leurs propres fantasmes, de leur peur, de leur désir de revanche ? Ces scènes sont-elles les reconstitutions d’événements vécus ? Nous sommes là, en tous cas, dans l’expression théâtrale de ce que l’angoisse, l’attente, le doute peuvent générer de violence, d’espoir, d’ironie, d’agressivité et, heureusement, d’humour.


Neuf séquences jouées par sept acteurs supposent que chacun incarne plusieurs personnages. En réalité, dans le projet qui est le nôtre, chaque acteur, chaque actrice est l’unique personnage de la salle d’attente. Comme l’écrivait Henri Michaux « on n’est pas seul dans sa peau » ou encore « dans une double, triple, quadruple vie, on serait plus à l’aise ». C’est ainsi que celui ou celle qui patiente dans la salle d’attente va se projeter devant les spectateurs dans des situations qui parfois prolongent et dévoilent vraiment ce qu’il (ou elle) nous a déjà montré de sa personnalité et parfois en en prenant le contre-pied. Cet exercice n’est pas à envisager comme un numéro d’acteur (quelle que soit par ailleurs la virtuosité) mais bien comme la mise en jeu la plus intègre des comportements contradictoires et pourtant authentiques que chaque personne recèle. Ceci exige, plus que jamais, et c’est là le véritable plaisir du travail d’acteur, la capacité à passer souplement, comme le font si bien les enfants, d’un état à une autre avec la même vérité.


La scénographie se propose donc de situer les protagonistes dans une salle d’attente banale où deux rangées de chaises en fond de décor sont complétées par des chaises éparses côté jardin et côté cour.


A partir de l’avant-dernière séquence, une voix off énonce régulièrement des numéros. Les personnages désignés par ceux-ci sortent alors par une porte ménagée dans le fond du décor et ne réapparaissent plus. Seuls restent un homme qui parle tout seul et un témoin indifférent absorbé entièrement par l’écoute d’un baladeur.


Dans cet espace structuré par cette paroi, par les rangées de chaises et par un sol, la lumière joue un rôle prépondérant. Elle nous permet de basculer de l’état quotidien de la salle d’attente à l’espace théâtralisé où les protagonistes agissent avec, pour seuls accessoires, les chaises de la salle d’attente. Notre projet est de passer du réel à l’imaginaire, du présent à un temps projeté, du silence à l’expression verbale en investissant l’espace scénique tel qu’il est, sans autre moyen de transformation que la lumière et la disposition des chaises.


La musique est puisée dans l’œuvre très singulière et très ludique d’un trompettiste de jazz, Dave Douglas, qui permet de rythmer le spectacle, de passer d’un climat à un autre.


Au centre de ce projet, le jeu des acteurs prend toute son importance. C’est de leur présence physique, de leur qualité humaine, de leur capacité à se projeter dans une situation d’excès, de déséquilibre, c’est à partir de leurs failles et de leurs fragilités que va surgir l’essence même des thèmes abordés dans Débrayage : la solitude humaine, l’angoisse de la manipulation, la volonté de révolte.


Avec ce sujet et son traitement sensible et drolatique par Rémi De Vos notre Compagnie se situe, une fois de plus à cette frontière incertaine censée séparer tragique et comique où, de fait, la nature humaine se retrouve théâtralement cul par dessus tête entre sublime et grotesque.


Gilles Guillot

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.