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Dance on glasses

mise en scène Amir Reza Koohestani

: A propos de dance on glasses par Amir Reza Koohestani

Shiraz, hiver 1382*/2004

  • l'année solaire iranienne

Trois années se sont écoulées depuis que j'ai écrit Dance on Glasses. Trois années : trois mois d'écriture, six mois de répétitions et une centaine de représentations. Après tout ce temps, me voilà à nouveau, attablé dans cette même chambre en train d'écrire une note sur ma pièce, dans cette chambre où elle connu sa première répétition.


Dance on Glasses était le fruit de mon ambition théâtrale. Ses longs silences, sa mise en scène quasi immobile et l'obscurité dans laquelle baigne sa première scène, apparaissaient alors aussi étrangers à notre théâtre encore habitué au réalisme usé du XIXe siècle que notre langue persane l'est à votre pays. Je me souviens de la peur ressentie lorsque pour la première fois j'ai vu Dance on Glasses à travers les vitres fumées de la salle technique, en présence d'un public. La frayeur qui m'ébouillantait le sang dans les veines, remontait pour me réchauffer le cerveau. Ma main tremblait en actionnant l'interrupteur de lumière alors que ma voix enrouée encourageait la troupe : « Tout va bien, nous réussirons. » Pour moi, c'est cette incertitude même du résultat qui donne ce goût suave au théâtre. Je ne savais pas si on réussirait. Un mensonge auquel nous nous sommes habitués pour masquer notre faiblesse et le manque de foi dans ce qu'on vient de faire.


Dance on Glasses, ce sont mes propres souvenirs, en partie. Dans ma mémoire, les personnages portaient d'autres noms, la chambre était différente et il n'y avait pas de table ou de danse.


Toute la pièce n'était que silence et obscurité. Le silence de quelqu'un, couché dans le noir, qui ne parvient pas à dormir, qui ne dit rien : dénué de toute pensée, il fixe les ténèbres. Un robinet fuyait, goutte à goutte. Je me souviens de la souffrance ressentie face à tous ces mots et ces dialogues qui ne faisaient que noircir les pages : ils leurraient le silence.


Tu étais stone cet après-midi ?
Non, je ne l'étais pas.
Tu ne l'étais pas ?
Non.
Alors pourquoi tes yeux étaient-ils rouges ?
J'avais pleuré.
Pourquoi avais-tu pleuré ?
Parce que j'avais mal aux pieds.


Lorsque je brise ainsi le silence, tout ce qui me reste c'est un sentiment de regret et d'échec. Silencieux, j'étais révolté et en colère, ne comprenant pas les mots défraîchis et miteux des autres, envahi par un nouveau vocabulaire qui pourrait construire le monde de demain. Mais dès que j'ouvre la bouche, ces mots nouveaux se déversant me paraissent froids et dénués de sens. Car ils ressemblent à ceux, usés, qu'enfant, j'entendais de la bouche de mes parents : je ne les voulais pas. Mes propres mots ne m'offrent ni perspectives ni amis. Ils ne font que préserver le peu que je possède. Je peux seulement me servir d'eux, pour commander un Pepsi ou dire bonne nuit à ma plante verte avant de me recoucher, pour une autre nuit à fixer l'obscurité, vidé, dénué de tout sentiment. Alors que le robinet continue à fuir, goutte à goutte...

Amir Reza Koohestani

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