: Présentation
C’est à la fin de l’année 2008 que l’auteur Gilles Granouillet me proposait
de monter son texte Combat qu’il venait de terminer. Nous nous
connaissions peu. Assez assurément pour qu’il pressente qu’avec nos
parcours respectifs « d’homme de théâtre », nos expériences de vie, nos
origines populaires communes, « son Combat » serait le mien.
Gilles Granouillet rend compte des ravages du chômage, de la violence
filiale et de l’exclusion sociale. Il dépeint de façon poignante, sensible et
quasi-mystique la volonté « spontanée » d’un homme de chercher et de
trouver une finalité à son existence - et parce que la vie n’a de sens que
le sens qu’on lui donne - , en offrant sa vie pour sauver sa demi-soeur
d’un désastre : la prison pour le meurtre d’un homme, qu’elle a commis
sur un quai de gare.
Cette demi-soeur qui pourra ainsi ensuite grâce à son sacrifice, à
la manière du personnage Coleman dans La tâche de Philip Roth,
poursuivre sa vie «réussie » ailleurs, fuir son enfance, sa condition
sociale et oublier sa famille à jamais. Construire la sienne peut-être un
jour à son tour. Avec en dedans, un peu de lui, son demi-frère.
L’écriture de Gilles Granouillet est fortement imprégnée de l’histoire de la ville
de Saint-Etienne. Sa ville natale où il vit depuis toujours. Cette grande ville qui
en un demi-siècle a perdu la quasi-totalité de ses grandes industries, a vu une
grande partie de sa population active « débarquée », le chômage pour presque
tous et l’avenir qui ressemble à un trou noir. Il y a en ce sens et ce depuis la
grande crise économique dans les années 70, une « filiation », une douloureuse
histoire commune avec cette partie de la région Rhône-Alpes et le Nord-Pas-de-
Calais, ma région natale. Aujourd’hui elles offrent toutes les deux, comme toutes
les régions post-industrielles dans le monde, les mêmes paysages avec les mêmes
vestiges des grandes industries qui ont fait leurs richesses et leurs fortunes, les
mêmes no man’s land, ces territoires entiers vidés de leurs usines, en attente
d’une reconversion qu’on espère un jour joyeuse.
On y rencontre les mêmes gens, aux mêmes visages, aux mêmes corps, aux
mêmes allures, aux mêmes gestes qui trahissent la dureté de la vie. Mais dans
leur grande majorité, et de façon surprenante et très belle, des gens qui ont
su garder en eux très fort le même désir - malgré le peu de travail, le travail
précaire, le pas de travail du tout, les problèmes d’argent, le manque de douceur
- la même volonté farouche de se battre, de résister, de tenir bon et surtout coûte
que coûte de rester digne. Quoi qu’il arrive. Et c’est ce combat-là que décrit Gilles
Granouillet avec justesse.
Combat, c’est l’histoire d’un frère qui se sacrifie pour sa soeur ou plutôt sa demi-soeur. C’est également l’histoire d’une demi-soeur à la vie professionnelle réussie qui accepte de revoir sa mère, son frère ou plutôt son demi-frère, bref sa famille, le temps d’une cérémonie de remise de la médaille du travail. C’est l’histoire d’une demi-soeur qui commet un meurtre. Celle aussi d’un départ à la retraite d’une mère qui a élevé seule ses enfants. C’est une histoire de sang. De filiation alambiquée. L’histoire d’un homme pratique (le demi-frère) qui a bien compris qu’on ne peut faire pousser deux pieds de tomates dans un petit pot et qu’il faut arracher le vilain (donc lui) pour sauver le beau (sa demi-soeur). C’est l’histoire d’une femme Gloria (la femme du demi-frère) qui connaît le Boeuf écorché de Soutine. C’est l’histoire de l’absence d’un père. C’est l’histoire d’un homme pas choisi, pas désiré par sa mère. Celle d’un type qui se met à croire « aux signes de la vie », qui ressent l’indicible et retrouve un sens à sa propre vie. En résumé, c’est l’histoire d’un combat de ceux et celles qui veulent s’en sortir.
J’aimerais que les histoires enchevêtrées, que l’imbroglio familial, que la catastrophe « annoncée » inscrite dans le texte se racontent au sein d’un dispositif scénique modulable qui suggère tous les lieux (c’est-à-dire la maison du demi-frère et de Gloria, la salle du comité d’entreprise, les abattoirs, le quai de gare, le parloir de la prison). Ce n’est pas tant la véracité de la représentation des lieux qui m’importe que l’évocation de l’univers « étrange » de l’enfermement mental et physique dans lequel se trouvent les personnages. J’aimerais explorer et développer une dimension expressionniste des situations, des enjeux et des états de tension (en référence aux films de Murnau, de Fritz Lang, de David Lynch) en travaillant sur le principe du «gros plan » (avec l’aide de la technologie son et vidéo), le clair-obscur, l’apparition-disparition des personnages, le visible et l’invisible. Le fantomatique, le fantasmatique, en mettant en scène un personnage omniprésent qui prendrait tour à tour les apparences d’un maître de cérémonies, d’un machiniste-plateau, de l’homme sur le quai de gare, de l’employé dans les abattoirs, d’une ombre. J’aimerais montrer les entrailles de l’intime de cette famille comme le chirurgien vétérinaire fait lorsqu’il examine les organes, viscères et boyaux dans le ventre de la bête. J’aimerais qu’il y ait confusion entre réalité et projection mentale.
Jacques Descorde
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