: Note d'intention
Ce spectacle est né dʼune rencontre avec un texte singulier, un texte qui porte en lui une
urgence éphémère. Burnout est un de ces textes qui doit être joué sur le moment, parce quʼil
brûle de lʼactualité, parce quʼil est avant tout issu du présent.
Lʼhistoire. Une jeune cadre dynamique, boulimique de productivité et de réussite, sombre peu à
peu dans une spirale infernale, poussée par un évaluateur lui-même formaté par un système
froid et avide de rendement. Jouant sur l'effet de liste, le texte dʼAlexandra Badea dresse un
compte rendu des névroses de lʼindividu plongé dans une société centrée sur lʼefficacité et la
performance. Une parole acérée, intime et politique qui se fraye entre les grincements de
lʼhumour.
Jʼen suis venu à la mise en scène par Rodrigo Garcia, par le choc dʼun théâtre qui mêle
violence extrême et transgression. Ce que jʼaimais sur scène, cʼétait les choses provocantes,
rentre-dedans. Et puis jʼen suis revenu, jʼai bifurqué vers des terres plus oniriques, plus
abstraites. Ce qui mʼintéressait dans Burnout, cʼétait les possibilités offertes de livrer une parole
brutale tout en ne reniant rien de mes envies esthétiques et formelles.
Dans le texte, la violence des corps est hors-champ. Lʼévalué et lʼévaluateur nʼont jamais
dʼactions physiques à accomplir, tout en passe par la parole. Comme si, dans ce monde
aseptisé, hyper-organisé, où le pouvoir de lʼimage est toujours plus fort, nous nʼétions plus
maîtres de nos propres corps, comme si nous nous étions résignés à nous laisser manipuler.
Dès la première lecture mʼest apparue lʼévidence de faire intervenir un troisième personnage qui
donnerait corps aux deux voix déjà présentes dans la pièce. Ici, celui qui joue, qui manipule, qui
fait vriller les situations introduites par le texte, cʼest ce troisième personnage, ou plutôt cette
présence fantomatique malléable qui prend la forme que leurs fantasmes et leur inconscient
veulent bien lui donner. Une figure qui révèle lʼévalué et lʼévaluateur à eux-mêmes et aux
autres.
Une figure fantomatique qui à la fois fait exister le plateau comme un endroit possible de
révolte, de révolution, mais aussi comme un lieu de rêveries. Ce qui mʼintéresse, cʼest
lʼindétermination des frontières entre vie privée et vie politique qui conduit inexorablement les
personnages à leur perte ; lʼirruption de la politique dans la vie privée est un détonateur. Le
patron nʼest plus une figure paternaliste à la Michelin, mais le bon copain qui délègue le pouvoir
de décision pour facilement se désengager si besoin.
Ce que cette figure fantomatique mʼa permis de souligner, de mettre en corps, cʼest la question
de la violence psychologique comme une lame de fond qui nous lamine bien plus
insidieusement que la violence physique. Les conditions de travail « agréables » (musique
dʼambiance, plantes vertes, néons recréant la lumière du soleil, salles de sports) créées par
lʼentreprise ne constituent en réalité quʼun écran de fumée qui masque des pratiques
inhumaines où lʼautre nʼest plus un Autre mais une simple force de production. On nourrit la
mal-être de chacun en travaillant à rendre invisible la violence qui lui est faite : déconsidération
des connaissances au profit de bilans de compétences, renforcement de la solitude en imposant des modifications régulières de lʼespace pour prévenir la tentation de tisser des liens
forts avec ses collègues.
Quand la solitude et la violence psychologique atteignent leur point dʼincandescence, le
travailleur-victime en arrive à une violence physique tournée contre lui-même et contre les
autres : suicide, mutilation, agression.
Ces deux personnages en quête de révolte intérieure parviendront-ils à sʼémanciper face à un
système quʼils estiment intouchable ?
Jonathan Michel
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