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Boesman et Léna

+ d'infos sur le texte de Athol Fugard traduit par Isabelle Famchon
mise en scène Philippe Adrien

: Note d’intention

Quoique singulièrement préoccupé du sens et de la portée du théâtre, Brecht plaçait au-dessus de tout l’objectif de divertir le public. C’est aussi mon choix. Dans le cas de cette pièce d’Athol Fugard, j’ai cependant l’impression de répondre à une autre nécessité. Et je songe à l’instant à l’Abbé Pierre, à son appel de 54 en faveur des sansabris. Il avait bien identifié l’extrême précarité comme le malheur absolu pour un être humain. L’apartheid fut en Afrique du Sud l’aboutissement institutionnel d’une pratique de ségrégation raciale. Un âge révolu, tant mieux. Mais combien de malheureux sont aujourd’hui encore, sous nos yeux, victimes de cette exclusion et exposés à l’aliénation qui s’ensuit ! Il y a toujours lieu de s’indigner.


Cette pièce d’Athol Fugard m’évoque ce qu’on appelle la « mémoire » et le devoir qui s’y rattache, oui, le « devoir de mémoire ». De quoi exactement devons-nous nous souvenir ? Du malheur des hommes bien sûr, de la violence, de la terreur et des humiliations infligées à des êtres humains par d’autres êtres humains. Se souvenir du pire pour tâcher d’éviter qu’il revienne.
C’est sans doute ce qui a mené Athol Fugard à la rencontre de Boesman et Léna, un homme et une femme noirs, des Hottentots, en Afrique du Sud au temps de l’apartheid… Nuit et jour ces deux-là ne cessent de marcher dans un désert froid et humide où ils se perdent à la recherche de tel lieu-dit qui ressemble de si près à tel autre… Et là il faut toujours recommencer, rassembler quelques bouts de bois et plaques de tôle en pressentant que demain le « boss », oui, l’homme blanc responsable du système d’anéantissement qu’était l’apartheid, aux commandes de son bulldozer, mettra leur abri en miettes pour les déloger et les renvoyer sur les chemins où ils sont à jamais égarés…
Comment des hommes ont-ils pu maintenir ainsi un peuple dans un tel néant ? Ou encore bien sûr, comment l’esclavage a-t-il été possible ? Comment ces entreprises de déshumanisation ont-elles pu exister ? Car au-delà du désespoir, c’est la guerre qui fait rage dans le couple de Boesman et Léna : chacun, comme en miroir, renvoyant à l’autre son propre malheur, la destruction de cet autre apparaît alors comme la seule issue…
Entre deux verres de gnôle, Boesman ferme le poing et frappe inlassablement sa compagne, mais Léna garde le coeur pur et au-delà des coups, des cris et des plaintes, il lui sera donné de découvrir la compassion à l’égard d’un vieux Cafre encore plus misérable qu’elle… Un texte inouï qui nécessite un traitement scénique particulièrement exigeant. C’est quoi ?
D’abord, de la part des acteurs, un engagement sans faille pour une mise à nu des êtres impliqués dans ce processus. Boesman est inhumain dans sa volonté d’anéantir l’humanité de Léna mais il est trop humain de vouloir ainsi infliger à l’autre ce dont on est soi-même victime. Ensuite, partir de l’idée que justement l’interprétation, quand elle vise de tels décalages, ne se découvre pas de façon rationnelle mais véritablement étrange. Il y faut un long temps de travail qui permette aux acteurs d’aller plus loin, en passant par l’intérieur.
Mais pour ce qui est de l’extérieur, attendez, c’est comme un rêve : je verrais bien que ça commence dans les loges d’un théâtre…
Les deux comédiens quitteraient leurs vêtements de ville et tandis qu’ils commenceraient à échanger les répliques de Boesman et Léna, ils enfileraient leurs oripeaux de misère et se maquilleraient avec l’argile du marécage où croupissent les personnages, se préparant ainsi à jouer leurs rôles… mais c’est à peine si on se rendrait compte de leur métamorphose et donc de ce qui peut toujours arriver à chacun de nous : en perdant la mémoire risquer d’égarer cette bonne humanité tempérée et insouciante qui nous caractérise.

Philippe Adrien

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