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Thyeste et le théâtre romain : Le Prologue dans la mise en scène de Thomas Jolly

par Pierre Katuszewski

La mise en scène de Thomas Jolly reprend une partie des éléments décrits dans l'article "Le prologue de Thyeste : fantôme et théâtralité"

Avant-prologue.


Avant même le prologue, « apparaît un homme vêtu de blanc, aux yeux bandés d’une gaze rouge sang. Il escalade lentement le visage couché au sol, au sommet duquel il se mettra bientôt aux percussions et dirigera de loin cette dissonante et violente musique qui ne cessera, en continu, de ponctuer brutalement l’action »[1]
→ Thomas Jolly annonce ici que la musique est un des éléments les plus importants de la tragédie romaine.
→ Cette entrée est d’emblée métathéâtrale quand le musicien touche et escalade le décor, il en signifie la matérialité et l’artificialité. D’autre part, cette entrée rappelle Inferno de Romeo Castellucci dans la Cour d’Honneur en 2008 quand un ancien alpiniste, Antoine Le Ménestrel, escaladait toute la façade du Palais des Papes au début du spectacle. Le clin d’œil semble évident avec le spectacle de Castellucci composé à partir de L’Enfer de Dante. Ici, c’est une ombre qui surgit des Enfers.


Les Enfers.


Au centre de la scène, de la fumée et une sorte de vapeur de couleur verte sortent d’un carré à partir duquel la lumière compose une étoile. C’est de là que l’ombre de Tantale surgit après qu’une bande d’effrayantes Furies, tout droit sorties d’un manga japonais ou d’une peinture de James Ensor, masqués en blanc, a parcouru la scène accompagnée d’éclairs blancs.


Ces éléments installent une atmosphère fantastique et angoissante qui prépare l’entrée en scène du fantôme. L’acteur porte un costume argenté scintillant assorti de paillettes vertes, sa voix caverneuse résonne étrangement dans la Cour d’Honneur. C’est une créature fantastique créée de toutes pièces pour le théâtre. Thomas Jolly utilise ici des images-stéréotypes qui installent un espace non mimétique et inhabituel pour des spectateurs de théâtre. On a presque l’impression d’être devant un tableau, une œuvre plastique très colorée. Les voix des acteurs et des actrices permettent alors d’identifier ces images. Une dissociation du corps et de la voix s’opère, les voix ont pour fonction d’être la légende des images constituées par les corps des acteurs/actrices.



Un autre procédé renforce cette idée d’un jeu avec les images : sur le mur en fond de scène est projeté le nom du personnage : « Tantale ».


→ Les éléments métathéâtraux continuent à s’accumuler :

  1. le fantôme sort de dessous la scène, ce qui constitue une référence évidente au théâtre élisabéthain et à la fameuse scène (acte I, scène 5) du fantôme dans Hamlet de Shakespeare qui frappe de dessous la scène pendant qu’il « aide » Hamlet à faire jurer à Marcellus et Horatio de garder pour eux le secret de l’apparition du spectre. Rappelons également que les élisabéthains nommaient « enfers » le dessous de la scène.
  2. le nom du personnage est projeté alors même que dès les premiers vers l’acteur rappelle l’identité de son personnage. Les spectateurs n’ont donc pas la nécessité de cette information. Projeter le nom du personnage qui parle fait référence au début ou à la bande annonce des films. C’est une façon d’inclure progressivement les spectateurs dans le spectacle par le biais de références communes.

La maison.


Au moment où le furor s’empare de Tantale, il est de dos au public et se déplace jusqu’à l’immense paroi de la Cour d’Honneur, cette façade aux multiples fenêtres, rendue célèbre par tous les spectacles qui ont été joués devant elle. Ici, c’est le palais de Pélops, la maison à laquelle il fait des enfants. Quand il se plaque contre la maison et la touche donc, les fenêtres et les ouvertures par lesquelles les actrices et les acteurs peuvent entrer sur la scène sont éclairées, un son à nouveau angoissant envahit la Cour et des morceaux de papiers tombent des fenêtres et volent telles des cendres jusqu’à l’espace des spectateurs. La pénétration de la maison par le fantôme donne donc lieu à des effets spectaculaires.


→ Le prologue, d’une durée de vingt-cinq minutes sur un total de presque deux heure trente de spectacle occupe donc une place importante dans le spectacle de Thomas Jolly. Il installe la théâtralité et prépare petit à petit les spectateurs à assister à un spectacle fantastique, à un spectacle qui multiplie les effets spectaculaires (lumière, sons, voix, costumes, etc.)


Thomas Jolly initie avec le prologue, le fantôme, la Furie et ses accompagnatrices, un spectacle sans thèse ni message autre que de profiter et prendre plaisir à la succession des images, à la force des voix qui les animent, à la beauté poétique du texte qu’elles font entendre.

Notes

[1] Fabienne Pascaud, « Avec "Thyeste", Thomas Jolly plonge Avignon dans l’effroi ». Consulté le 5 septembre 2018 sur Télérama.fr


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