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Couverture de Juste la fin du monde (scénario)

Juste la fin du monde (scénario)


Juste la fin du monde (scénario) : La Musique

Retrouver Gabriel Yared par Xavier Dolan

Derrière tout grand compositeur se cache apparemment une eau de toilette attendant son voleur. Nous l’allons montrer tout à l’heure… À l’époque où il avait composé la musique de Tom à la ferme, Gabriel Yared travaillait depuis Paris, tandis que de l’autre côté de l’océan, je jouais dans un film et entamais l’écriture de Mommy. L’expérience fut déterminante, mais entièrement virtuelle ; jamais je n’eus l’occasion de le rencontrer en personne durant cette collaboration. L’aventure de Juste la fin du monde, nous le savions, devait être plus… physique.


Quelques semaines avant le tournage, j’envoyai à Gabriel une pièce instrumentale en guise de référence, histoire de donner le ton. Il m’envoya en retour une valse bouleversante qui me toucha droit au coeur. Lorsque je l’entendis, je sus tout de suite qu’elle serait destinée à la crise finale du film ; toute l’incompréhension, toute l’impuissance des gens sans écoute qui ne voient rien venir et s’effondrent lorsque le sol se dérobe sous leurs pieds… J’entendais déjà les bégaiements confus de la mère : “Mais on prend tout de même le temps de se dire au revoir?”


En décembre dernier, j’invitai Gabriel à me rejoindre à Los Angeles, où je terminais le montage du film. J’avais besoin de changer d’air. Onze jours pour livrer le film fini, dont il manquait de grands épisodes - la fin, notamment. Gabriel ne vint que six jours. La production trouva une maison charmante où l’on installa la table de montage dans la cuisine, et Gabriel et son assistant David au fond de la maison, dans la chambre d’enfant, avec leur clavier, leurs moniteurs et tout le bataclan. Je faisais la navette entre les deux pièces, découvrant à tour ce que Gabriel venait de composer, et lui livrant la cuvée quotidienne des nouvelles scènes à habiller. Ce fut un des moments les plus extravagants de toute la vie du film.


Nous passions de longues heures à parler, crier, s’émouvoir, s’exciter, ou stagner, bien sûr. Nous mangions toujours les mêmes pâtes bolognese d’un petit restaurant près de la Paramount, prenions de grandes marches dans Larchmont, jouions au Scrabble dans le salon. Mais nous avions sans le savoir loué la maison de Robert Schwartzman, le chanteur du band Rooney (I’m Shakin’) - mais d’abord et avant tout, dans mon coeur, Michael du Journal d’une princesse. Robert était lui-même, à notre insu, reclus dans la cabane du jardinier, dans la cour arrière de la maison qu’il nous prêtait. Il avait transformé ce grand débarras en studio de montage et de musique luxuriant, alors que nous avions transformé sa maison en studio de postproduction de fortune.


Six jours plus tard, Gabriel repartit avec sous son bras 45 minutes de musique. Mais l’histoire démontre qu’il ne s’agit pas du véritable point culminant de ce séjour. En effet, Robert et moi n’avions pu nous empêcher de remarquer l’enivrant parfum de Gabriel, et de lui demander de quoi il s’agissait. Égoïste de Chanel, naturellement. Impatient de s’approprier cette odeur, Robert commanda un flacon de 100ml qui arriva incontinent par la poste, dans une boîte blanche impeccablement enrubannée de soie rouge. Il piqua à Gabriel son odeur. Et moi, un soir, tard, saoul avec mon ami, je piquai à Robert Égoïste.


Évidemment, Gabriel ne sait rien de cette histoire.


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