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Couverture de Juste la fin du monde (scénario)

Juste la fin du monde (scénario)


Juste la fin du monde (scénario) : Adapter Lagarce

par Xavier Dolan

Lorsque j’ai commencé à dire que Juste la fin du monde serait mon prochain film, le projet fut accueilli par une sorte de scepticisme bienveillant mêlé d’appréhension. Le doute venait de mes amis, surtout. Anne, notamment, Serge Denoncourt, ou Pierre Bernard, qui avaient tous deux été de la pièce lorsqu’elle avait été montée à Montréal, en 2001. Anne m’avait exhorté à lire ce texte conçu sur mesure, disait-elle, pour moi, mais s’interrogeait sur la faisabilité de cette adaptation...
« Comment préserveras-tu la langue de Lagarce? » me demandait-elle. « C’est ce qui fait de ce texte quelque chose de pertinent et d’unique. En même temps, cette langue n’est pas cinématographique... Et si tu la perds, où est l’intérêt d’adapter Lagarce? »


Mais je ne voulais pas la perdre. Au contraire, le défi pour moi était de la conserver, et la plus entière possible.


Les thèmes abordés par Lagarce, les émotions des personnages, criées ou muselées, leurs imperfections, leur solitude, leurs tourments, leur complexe d’infériorité... tout de Lagarce m’était familier – et le serait sans doute pour la plupart d’entre nous. Mais la langue, elle... m’était étrangère. Et nouvelle.


Tissée de maladresses, de répétitions, d’hésitations, de fautes de grammaire... Là où un auteur contemporain aurait d’office biffer le superfétatoire et la redite, Lagarce les gardait, les célébrait. Les personnages, nerveux et timorés, nageaient dans une mer de mots si agitée que chaque regard, chaque soupir glissés entre les lignes devenaient – ou deviendraient, plutôt – des moments d’accalmie où les acteurs suspendraient le temps.


Je voulais que les mots de Lagarce soient dits tels qu’il les avait écrits. Sans compromis. C’est dans cette langue que repose son patrimoine, et c’est à travers elle que son œuvre a trouvé sa postérité. L’édulcorer aurait été banaliser Lagarce. Que l’on « sente » où non le théâtre dans un film m’importe peu. Que le théâtre nourrisse le cinéma... N’ont-ils pas besoin l’un de l’autre de toute façon?


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