Scène 21 - (extrait)

Richard III
Qu’on me donne un autre cheval ! Qu’on bande mes blessures !
Aie pitié, Jésus ! Paix, je n’ai fait qu’un rêve.
O lâche conscience, comme tu m’accables !
Les lumières brûlent bleu. C’est l’heure morte qui court à minuit.
De froides gouttes de peur strient ma chair tremblante.
De quoi ai-je peur ? De moi-même ? Il n’y a personne d’autre alentour.
Richard aime Richard, c’est-à-dire, moi et moi.
Y a-t-il un meurtrier ici ? Non. Si, moi.
Alors fuyons. Quoi, au loin de moi-même ? Pour quelle raison ?
De peur que je me venge. Quoi, moi-même, de moi-même ?
Hélas, je m’aime moi-même. Pour quoi ? Pour le bien
Que je me suis fait moi-même à moi-même ?
Oh non ! Hélas, je me hais plutôt moi-même
Pour les actes haïssables commis par-moi-même !
Je suis un criminel. Non, je mens, je ne le suis pas.
Imbécile, ne dis pas de mal de toi-même. Imbécile, ne te flatte pas.
Ma conscience a mille langues distinctes,
Et chaque langue rapporte une histoire distincte,
Et chaque histoire me condamne comme criminel.
Parjure, parjure, au plus haut degré,
Meurtre, meurtre absolu au plus atroce degré.
Tous les péchés distincts, tous commis à tous les degrés,
Tous se pressent à la barre et crient : “ coupable, coupable ! ”
Je n’ai plus qu’à désespérer. Pas une créature ne m’aime,
Et si je meurs, pas une âme n’aura pitié de moi.
Eh, pourquoi en aurait-on, puisque moi-même
Je ne trouve en moi-même aucune pitié pour moi-même ?
Il m’a semblé que les âmes de tous ceux que j’avais assassinés
Venaient à ma tente, et que chacun d’eux fulminait
La vengeance de demain sur la tête de Richard.

L’écuyer
Mon seigneur ?

Richard III
Qui est là ?
Le coq du village
A par deux fois donné son salut au matin. Oh, j’ai rêvé un rêve à faire peur.
Oh, j’ai peur, j’ai peur.

L’écuyer
Non, mon bon seigneur, n’ayez pas peur des ombres.

Richard III
Par l’apôtre Paul, des ombres cette nuit
Ont frappé de terreur l’âme de Richard davantage
Que ne le pourrait le corps de dix mille soldats
Armés de pied en cap et conduis par le vain Richmond.
(L’horloge sonne.)
Dis-moi quelle heure est-il. Donne-moi un almanach. Qui a vu le soleil aujourd’hui ?

L’écuyer
Mon seigneur ?

Richard III
Le soleil ne se montrera pas aujourd’hui. Quoi, qu’est-ce que cela pour moi.

L’écuyer
Aux armes, aux armes, mon seigneur! L’ennemi fanfaronne sur le champ de bataille.

Richard III
Allons, bouge-toi, bouge-toi. Qu’on caparaçonne mon cheval. Allez, messieurs, chaque homme à son poste !
Ne laissons pas des rêves babillards terrasser nos âmes,
La conscience n’est qu’un mot dont se servent les lâches, Conçue d’emblée pour subjuguer les forts;
Que nos bras forts soient notre conscience, nos épées notre loi. Marchons ! Chargeons vaillamment ! Plongeons de concert Main dans la main, sinon au Ciel, du moins en Enfer.
Écoutez, j’entends leur tambour.
Battez-vous, gentilhommes d’Angleterre ! Battez-vous, braves paysans ! Tirez, archez, tirez vos flèches à la tête !
Éperonnez durement vos fiers chevaux, chevauchez dans le sang; Épouvantez les cieux de vos éclats de lances !

L’écuyer
Mon seigneur, l’ennemi a franchi les marais!
Un millier de cœurs se gonfle dans ma poitrine.
Avancez nos étendards ! Foncez sur l’ennemi !
Que notre ancienne clameur de courage, “ Beau Saint George ”, Nous inspire la fureur des dragons ardents !
Haro ! Tous sur eux ! La victoire est assise sur nos casques.

L’écuyer
Au secours, au secours, au secours !

Richard III
Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval !

L’écuyer
Fuyez, mon seigneur ; je vous aiderai à trouver un cheval.

Richard III
Esclave, j’ai joué ma vie sur un coup de dé,
Et de la fortune j’entends soutenir l’humeur.
Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval !