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Couverture de Le Retour au désert

Le Retour au désert

de Bernard-Marie Koltès


Le Retour au désert : "Une pièce de bagarre"

Pourtant, Koltès nie avoir écrit une pièce historique, encore moins un drame sur la guerre d’Algérie. Sans doute est-ce la certitude de sa mort prochaine qui pousse plutôt le dramaturge à évoquer ses propres souvenirs d’enfance à Metz, quand il avait douze ans et qu’il entendait des cafés exploser. « J’ai tenu à ne pas écrire une pièce sur la guerre d’Algérie, confie-t-il à Michel Genson pour Le Républicain lorrain (27 octobre 1988), mais à montrer comment, à douze ans, on peut éprouver des émotions à partir des événements qui se déroulent au dehors. En province, tout cela se passait quand même d’une manière étrange : l’Algérie semblait ne pas exister et pourtant les cafés explosaient et on jetait les Arabes dans les fleuves. Il y avait cette violence-là, à laquelle un enfant est sensible et à laquelle il ne comprend rien. Entre douze et seize ans, les impressions sont décisives ; je crois que c’est là que tout se décide. Tout. »
Le Retour au désert est donc avant tout une pièce du retour des souvenirs et du passé, c’est délibérément une pièce de famille que nous propose Bernard-Marie Koltès.


Discussion avec les élèves


– À ce stade de la réflexion, il faudrait interroger les élèves sur les signes de manifestation de la violence. La brutalité se cantonne-t-elle au monde du « dehors », absent de la scène, ou bien est-elle visible sur le théâtre ? Est-elle pris en charge par les personnages de manière uniforme ? Y a-t-il des personnages qui échappent à la brutalité ? En somme, Koltès établit-il un lien entre l’homme et l’Histoire ? L’homme échappe-t-il à son histoire, à l’Histoire ?


Si violence il y a, elle apparaît en premier lieu dans les rapports conflictuels entre Mathilde et Adrien, rapports qui éclatent dès la scène d’exposition à travers la position de chacun des personnages. Quand la sœur arrive flanquée de ses deux enfants et ses valises, son frère la surplombe, du haut d’un « grand escalier ». Cette verticalité renforce les rapports de force entre Adrien, qui se montre rassurant et apaisant, pour mieux se débarrasser de l’intruse et Mathilde venue porter, non pas la bonne parole, mais « la guerre », « dans cette ville, où elle a quelques vieux comptes à régler ». Le Retour au désert est bien, pour reprendre les termes de Koltès, « une pièce de bagarre entre un frère et une sœur. Elle traite, entre autres choses, d’une bagarre de texte, d’une bagarre verbale que l’on pourrait comparer à une bagarre de rue. » (Théâtre public, entretien avec Véronique Hotte, novembre-décembre 1988).
Tandis Bernard-Marie Koltès évoque des coups don- nés dans un hors-scène, comme l’affirme Mathilde dans l’acte II, scène 6, la violence verbale, elle, éclate sur scène à travers un échange de menaces que les élèves pourront aisément relever et com- menter dans le texte. À la manière des enfants, Adrien et sa sœur se disputent physiquement et surtout verbalement, se courent, après comme si, dans ce contexte de retour au passé, le désir de domination valait désir de vie. Pour reprendre l’épigraphe analysée ci-dessus, même « privé de sa sève », de son sang, l’homme survit, et cela grâce à la pulsion de domination qu’il exerce sur autrui. Très vite, le conflit constitue le mode de relation privilégié des personnages qui, pressés par l’urgence de dominer l’autre, testent, éprouvent leur point de rupture, à la manière des enfants. Au début de chacun des dix-huit tableaux, les protagonistes détiennent tous une chance de rédemption qu’il laisse filer tant le désir de domi- ner l’autre est fort, nécessaire. À ce moment précis, lorsque l’homme n’a plus rien à craindre, le geste peut accompagner la parole et la violence éclater au grand jour.
La scène où la brutalité éclate est évidemment celle où Mathilde, dans l’acte II, règle ses comptes avec le préfet de police Plantières puis le rase avec l’aide de son propre fils, Édouard. Le personnage féminin reproduit l’acte de torture qu’elle a subi à la Libération mais en le pervertissant, en le théâtralisant. En effet, elle annonce son geste par une parole volontairement lente, répétitive, qui mime, comme le menace Mathilde dans l’acte II, scène 1, « le rythme lent, interminable, l’insupportable lenteur du rythme de la repousse des cheveux ». La sœur extériorise sa propre humilia- tion en retardant, en suspendant l’action, et cela grâce à un discours où le devenir de Plantières est indissociablement lié à son propre passé. Une fois libérée de son passé, et cela grâce au langage surtout, Mathilde sort de scène. Elle a accouché de sa douleur grâce à ses maux qu’elle a su mettre en mots. La force de Bernard-Marie Koltès est d’avoir su ainsi transformer une violence verbale inhérente à l’homme en une violence verbale, cathartique, purgative.



Extrait du dossier Pièce (dé)montée N°17 - rédigé par Marine Jubin


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