Philoctète : La tragédie grècque
L’espace théâtral
Si au vie siècle av. J.-C. les spectacles se déroulaient
sur l’espace plat de l’agora, au ve siècle le
théâtre s’installe à flanc de colline – l’Acropole, à
Athènes –, le public très nombreux est assis dans
le théâtron (lieu d’où l’on regarde) sur des gradins
de bois (remplacés à la fin du ve siècle par les gradins
de pierres que nous connaissons aujourd’hui)
disposés en amphithéâtre.
Devant les gradins se trouve l’orchestra, espace circulaire,
devant lequel est placée la thymèlè, l’autel
de Dionysos, où évolue le choeur. Face au public,
tangent par rapport à l’orchestra, on trouve le
logéion (lieu d’où l’on parle) où jouent les acteurs,
sur lequel est posée la skênê (sorte de tente ou
de baraque en bois d’abord, puis en pierre où
les acteurs changent de masque et de costume).
Sophocle, le premier, l’aurait fait peindre pour
représenter l’entrée de la grotte de Philoctète
devant laquelle se joue le prologue. Il serait
donc l’inventeur de la scénographie. Au-dessus
de la skênê se trouve le théologéion, lieu d’où
parlent les dieux. Pour Philoctète, Sophocle met
en place une machinerie théâtrale, au-dessus de la
skênê, qui permet l’apparition du deus ex machina,
le dieu qui vient des machines, Heraklès, à la fin
de la pièce.
Le spectacle tragique
La tragédie est une représentation spectaculaire
à la fois musicale et chorégraphique. Le choeur
est accompagné de la flûte et exécute des mouvements
dansés. La mise en scène de L’Orestie
par Ariane Mnouchkine a tenté, en toute liberté,
d’en rendre compte.
La tragédie s’ouvre par un prologue présentant
le thème de la pièce, elle se poursuit par la
parodos, entrée rythmée du choeur après quoi
alternent les épisodes (forme dialoguée) et les
stasima (formes chantées par le choeur). Elle
se clôt par la sortie du choeur (exodos). Cette
structure majeure évolue selon les auteurs.
Les thèmes sont liés aux grands mythes et, le
plus souvent, mettent en scène, en conflit, deux
grandes familles : les Labdacides et les Atrides.
Le Philoctète de Sophocle évoque les Atrides. Le
choeur est constitué uniquement d’hommes,
une douzaine de choreutes qui constitue une
sorte de personnage collectif évoluant dans
l’orchestra et qui dialogue avec les protagonistes,
trois acteurs chez Sophocle qui jouent
tous les personnages, jamais beaucoup plus
nombreux. Le choeur de Philoctète, autre originalité
de l’auteur, est composé des marins qui
accompagnent Ulysse.
Le théâtre de Sophocle
né en 496 ou en 495 av. J.-C., il meurt à près de 90 ans en 406. « La vie de Sophocle accompagne la grandeur athénienne » (Pierre Vidal-naquet). Il participe activement à la vie politique de son temps auprès de Périclès notamment en tant que stratège, puis auprès de nicias. Il a été administrateur du trésor athénien, commissaire du conseil et les succès de ses pièces aux Dionysies sont sans précédent. Sept tragédies seulement sont parvenues jusqu’à nous : Les Trachiniennes, Antigone, Ajax, OEdipe Roi, Électre, Philoctète, OEdipe à Colone. Son théâtre, plus que celui d’Eschyle, développe le dialogue, notamment dans le prologue. En cela il est innovant. D’autre part, chacune des tragédies existe par elle-même et ne s’inscrit plus, comme chez son prédécesseur, dans une trilogie. Ses héros tragiques y gagnent en solitude mais aussi en force : il présente des individus seuls face à leur destin, c’est le cas avec Philoctète. D’ailleurs, si l’on excepte Les Trachiniennes, toutes ses tragédies portent le nom du personnage éponyme. Philoctète est l’avant-dernière tragédie de Sophocle représentée en 409 avant J.-C. On sait qu’Eschyle et Euripide se sont emparés de ce personnage mais leurs oeuvres ont été perdues.
Le palimpseste
Le mythe étant par définition un récit fabuleux, transmis par la tradition, qui met en scène des êtres incarnant, sous une forme symbolique, des forces de la nature et des aspects de la condition humaine, on comprend que de nombreux auteurs se soient emparés de cette figure de l’abandon et de la solitude qu’est Philoctète.
Catherine Marion - Christophe Mollier