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Couverture de Nous, les héros (version sans le père)

Nous, les héros (version sans le père)

de Jean-Luc Lagarce


Nous, les héros (version sans le père) : Extrait 2 : Le fils, figure de la fuite

NH (vsp), p. 48-50 / ThCIV, p. 180-182

LA MÈRE. – Tu ne manges rien ?
Que veux-tu donc faire ? Veux-tu parler ? C’est une soirée joyeuse‚ tu dois y participer et tu ne peux rester ainsi.


KARL. – Je voudrais vous quitter... Tu n’entends pas.


LA MÈRE. – Démissionner ?


KARL. – La sécurité‚ les calculs prévus pour toute la durée de la vie‚
je ne veux pas cela.
Je resterai célibataire‚ je n’aurai jamais d’enfant‚ avec moi‚ tout s’arrêtera‚ il n’y aura pas de suite. Je jouais ça et mon père avant moi et son père‚ encore‚ auparavant‚ mais avec moi‚ désormais‚ cela cessera définitivement.
En épousant Raban‚ Joséphine reprendra la boutique‚ et tu n’auras pas à t’inquiéter‚ tout ce que tu as construit sera suivi d’effets.
Moi‚ je ne peux rien promettre‚ je ne veux rien promettre.
Toute réalité se transformera toujours pour moi en tourments.
Tu devrais m’aider à partir‚ chacun ici devrait m’aider à partir.


LA MÈRE. – Je mourrai de chagrin et de désespoir avant même d’avoir pu mourir de maladie naturelle.
Où iras-tu ?


KARL. – J’irai à Berlin‚ cela m’avait plu‚ cela offre le maximum de possibilités d’existence à un jeune homme décidé et je suis un jeune homme décidé. Je pourrais l’être. Ensuite‚ nous verrons. Avec beaucoup de forces‚ je pourrais ensuite atteindre Paris‚ y gagner la fortune et quitter tout‚ à la fin‚ pour l’Amérique.
C’est un vaste projet.


EDUARDOWA. – Il veut aller à Chicago.


LE GRAND-PÈRE. – Où ?


JOSÉPHINE. – À Chicago. Il l’a lu dans les illustrés. À Chicago‚ la vie est paisible.


KARL. – Quinze dollars par semaine dès la première année. Deux semaines de congé dont une est payée et au bout de cinq années‚ congé entièrement payé.


LA MÈRE. – Le mieux‚ probablement‚ serait que je m’achète un revolver et que je me le colle sur la tempe et que je renonce à la vieillesse douce et heureuse que je m’étais imaginée.


MONSIEUR TSCHISSIK. – Souvent‚ je regrettais de n’avoir pas d’enfants et aujourd’hui‚ je comprends les désagréments qu’il y aurait eu à en avoir et je trouve le réconfort à mon absence d’héritiers dans le spectacle accablant des familles nombreuses.


LE GRAND-PÈRE. – Mais à Chicago‚ qu’est-ce qu’il fera ?


MAX. – La Bohême‚ j’ai lu ça‚ la Bohême s’est vidée doucement‚ c’est une sorte de désert maintenant‚ à cause de l’émigration considérable vers l’Amérique. C’est une saignée aussi dévastatrice que la Guerre.


LE GRAND-PÈRE. – Nous‚ lorsque nous étions jeunes et que nous voulions fuir les parents‚ c’était en Russie que nous voulions aller.


MADAME TSCHISSIK. – Je voulais aller à Londres. Londres‚ cela m’aurait plu‚ je crois‚ j’imagine.


KARL. – Que ne suis-je parti l’année dernière‚ en secret‚ ou même l’année précédente encore‚ en pleine possession de toutes mes forces et sur un coup de colère. On m’aurait déjà oublié.


MAX. – Moi‚ si je devais m’enfuir‚ c’est à Varsovie que j’irais.
J’y suis passé lorsque j’étais plus jeune et un garçon comme moi‚ bien habillé‚ à l’européenne‚ y aura toujours l’apparence gratifiante de l’élégance. À Varsovie‚ un étranger peut toujours prétendre venir de Paris‚ on finira par le croire s’il ne commet pas trop d’erreurs.


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