theatre-contemporain.net artcena.fr

Couverture de Little Boy, la passion

Little Boy, la passion

de Jean-Pierre Cannet


Little Boy, la passion : Extraits

George Kane – Je crois que j’ai crié. Malgré moi, je n’ai pu retenir mon cri. Un cri comme quand on rêve et qu’un coup de hache vient fêler ce rêve. Peut-être était-ce seulement pour te dire de te sauver, vite !
Sauve-toi, petite, cours plus vite que tes jambes !
En bas, la ville ne se doutait de rien. Elle était réveillée, grouillante déjà de son va-et-vient ordinaire, le gazouillis de ses mille parfums, marchés de fleurs ou de poissons l’agglomérat de ses riens, marchands ambulants, vendeurs à la sauvette. Moi, je me suis penché et je n’ai vu que toi, minuscule tête d’épingle, tout en bas, sur la Terre. Tu as entendu l’avion, tu as dressé la tête. Tu es restée immobile, à l’intersection de deux rues, alors qu’autour de toi les gens prenaient peur et s’éloignaient. Tu as dû te dire…


Ginko – Un avion, c’est un avion américain.


George Kane – Tu as probablement pensé fuir avec les autres, tu ne l’as pas fait. Au contraire, tu t’es renversée vers le ciel, tout ce bleu à pleine goulée qui te baignait la gorge et les yeux.
Tu as scruté plus haut que l’avion, à cet instant il n’a plus existé pour toi. Bien au-delà. Comme si tu voulais atteindre, plus haut que le soleil, atteindre quoi ? Puis ton visage s’est incliné vers la carlingue miroitante. Et tu m’as regardé. Avec tes yeux, avec ta gorge. Trop belle, peut-être, ou d’une beauté qui m’était interdite ? N’était-ce pas un signe, comme le début de la monstruosité qui allait s’abattre dans un instant ? C’est inouï, alors, la précision avec laquelle tu m’es apparue ! L’ovale de ton visage peigné de longs cils noirs. L’esquisse d’un mouvement et tes cheveux suivaient comme des algues lentes. Ton corps si frêle mais comme tu étais fière, debout, forte comme une éternité de fille. Un visage engage la responsabilité de celui qui le regarde. Nous nous sommes engagés. Rien, aucune force, n’aurait pu détacher nos regards.
Ginko, comment pourrais-je connaître ton prénom si tu étais restée muette ?


Ginko – Oui, nous nous sommes parlés.


George Kane – Moi, tout en haut dans cet avion bombardier et toi, si petite, tout en bas, sur la terre d’Hiroshima. Malgré la distance, je jure que nous nous sommes aimés.




George Kane – C’est fini, George !


Fanny – Comme je ne comprenais pas, il m’a dit...


George Kane – Maintenant je m’appelle Little Boy.


Fanny – Tu es encore fatigué, mon pauvre chéri !
Il a haussé les épaules. Alors je lui ai montré ses lunettes avec de nouveaux verres. Il m’a regardé avec ses lunettes réparées, il a regardé nos enfants comme s’il les découvrait, Candy, Angela qui va avoir deux ans et le petit George junior dans son couffin.


George Kane – Candy, Angela et George junior.


Fanny – Et il a eu l’air de regretter ses anciennes lunettes, celles qui étaient cassées.


imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.