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Couverture de Les Enfants de Saturne

Les Enfants de Saturne

de Olivier Py


Les Enfants de Saturne : “Mais ses premiers enfants, le grand Kronos les dévorait…”

Rhéia subit la loi de Cronos et lui donna de glorieux enfants, Histié, Déméter, Héra aux brodequins d'or ; et le puissant Hadès, qui a établi sa demeure sous la terre, dieu au coeur impitoyable ; et le retentissant Ébranleur du sol ; et le prudent Zeus, le père des dieux et des hommes, dont le tonnerre fait vaciller la vaste terre. Mais ses premiers enfants, le grand Cronos les dévorait, dès l'instant où chacun d'eux, du ventre sacré de sa mère, descendait à ses genoux. Son coeur craignait qu'un autre des altiers petits-fils de Ciel n'obtînt l'honneur royal parmi les Immortels. Il savait, grâce à Terre et à Ciel Étoilé, que son destin était de succomber un jour sous son propre fils, si puissant qu'il fût lui-même — par le vouloir du grand Zeus. Aussi, l'oeil en éveil, montait-il la garde ; sans cesse aux aguets, il dévorait tous ses enfants ; et une douleur sans répit possédait Rhéia.


Mais vint le jour où elle allait mettre au monde Zeus, père des dieux et des hommes ; elle suppliait alors ses parents, Terre et Ciel Étoilé, de former avec elle un plan qui lui permît d'enfanter son fils en cachette et de faire payer la dette due aux Érynies de son père et de tous ses enfants dévorés par le grand Cronos aux pensers fourbes. Eux, écoutant et exauçant leur fille, l'avisèrent de tout ce qu'avait arrêté le destin au sujet du roi Cronos et de son fils au coeur violent ; puis, ils la mènerent à Lyctos, au gras pays de Crète, le jour où elle devait enfanter le dernier de ses fils, le grand Zeus ; et ce fut l'énorme Terre qui lui reçut son enfant, pour le nourrir et le soigner dans la vaste Crète. L'emportant donc à la faveur des ombres de la nuit rapide, elle atteignit les premières hauteurs du Dictos, et, de ses mains, le cacha au creux d'un antre inaccessible, dans les profondeurs secrètes de la terre divine, aux flancs du mont Égéon, que recouvrent des bois épais. Puis, entourant de langes une grosse pierre, elle la remit au puissant seigneur, fils de Ciel, premier roi des dieux, qui la saisit de ses mains et l'engloutit dans son ventre, le malheureux ! sans que son coeur se doutât que, pour plus tard, à la place de cette pierre, c'était son fils invincible et impassible qui conservait la vie et qui devait bientôt, par sa force et ses bras, triompher de lui, le chasser de son trône et régner à son tour parmi les Immortels.


Puis rapidement croissaient ensemble la fougue et les membres du jeune prince, et, avec le cours des années le grand Cronos aux pensers fourbes recracha tous ses enfants, vaincu par l'adresse et la force de son fils, et il vomit d'abord la pierre par lui dévorée la dernière. Et Zeus la fixa sur la terre aux larges routes dans Pythô la divine, au bas des flancs du Parnasse, monument durable à jamais, émerveillement des hommes mortels. Ensuite de leurs liens maudits il délivra les frères de son père, les fils de Ciel, qu'avait liés leur père en son égarement. Ceux-là n'oublièrent pas de reconnaître ses bienfaits : ils lui donnèrent le tonnerre, la foudre fumante et l'éclair, qu'auparavant tenait cachés l'énorme Terre et sur lesquels Zeus désormais s'assure pour commander à la fois aux mortels et aux Immortels.


Hésiode, Théogonie (traduction Paul Mazon)