« Le théâtre », qu’entendez-vous par là ? Le nouage incertain d’un soir entre quelques acteurs, du public, une trame répétée de paroles et d’actions. Et vous dites qu’il y a là une expérience de pensée ? Ça arrive. Et comment est-ce que cela arrive ? Discrètement, je crois, par toute une série de déplacements. Un mouvement de suspension s’engage, qui devient presque indiscernable d’un mouvement de conversion. Vous n’avez pas une métaphore ? Une opération à cœur ouvert. Un acte de montage à l’intérieur des gens. Une sorte d’écartement subjectif qui se produit au ras de la situation, chez des acteurs et des spectateurs. Et quand ça n’arrive pas ? On en reste aux spectacles, aux opinions, aux sensations. La décharge publique. Pas la queue d’une vérité. Parce que vous pensez que le théâtre a affaire à la vérité ? Oui. Au plaisir de la vérité. La vérité de quoi ? De la situation théâtrale elle-même, quand s’opère en elle la défection gracieuse des individus et des communautés, et la confection d’une amitié. Mais c’est aussi une éclaircie portée sur d’autres situations qui sont comme le ressort caché de la situation théâtrale, avec lesquelles elle flirte sans jamais s’y abandonner. Quelles situations ? Celles des amants, celles des ennemis. Ce livre, c’est de la théorie ? Oui, la théorie d’une pratique, comme disent les classiques. Quel genre ? Philosophie ? Théâtrologie ? C’est un essai. Pour essaimer ? Pour essayer.