Le Tartuffe ou l'Hypocrite : Une pièce interdite
et attendue dans la carrière de Molière
Lorsqu’il écrit sa première version du Tartuffe, Molière est au sommet
de sa gloire. Le Roi lui a fait l’honneur d’être parrain de son fils et lui
commande en urgence un ballet, Le Mariage forcé, alliant le théâtre, la
danse et la musique, créé fin janvier. Il s’occupe de sa prochaine pièce,
Le Tartuffe, quand arrive une autre commande d’importance : Louis XIV
veut offrir à la Cour une grande fête de printemps dans les jardins de
Versailles, intitulée « Les Plaisirs de l’île enchantée ». Molière est au
centre de l’organisation des trois journées de festivités avec une nouvelle
pièce écrite en urgence, La Princesse d’Élide, une représentation des Fâcheux,
du Mariage forcé, et la création de sa pièce en trois actes Le Tartuffe ou
l’Hypocrite.
Attaqué par les dévots, Molière voit cette dernière immédiatement
interdite par le Roi bien que ce dernier l’apprécie et lui permette de la
représenter en privé. Les raisons qui dictent cette interdiction, officiellement, invoquent la piété du Roi, mais touchent plus vraisemblablement
à la politique religieuse générale, menée dans un souci d’apaisement.
Molière fait donc les frais des tensions religieuses et idéologiques en
haut lieu, et est l’objet d’attaques d’une rare violence au sein d’une guerre
de pamphlets.
En 1667, le dramaturge présente une seconde version en cinq actes,
sous le titre L’Imposteur, fort de la protection royale accordée à sa troupe,
désormais « Troupe du Roi ». Le propos semble moins virulent :
l’hypocrite (Panulphe et non Tartuffe) n’est plus un vrai dévot dont le
comportement contredit les principes, mais un imposteur qui se fait
passer pour un dévot. La pièce est à nouveau interdite par le premier
président du Parlement de Paris, en vertu de l’interdiction royale de
1664. En septembre 1668, le bruit court que le roi va enfin autoriser la
pièce. Le public l’attend avec impatience. Le 5 février 1669 a enfin lieu
la première représentation du Tartuffe ou l’Imposteur, pièce en cinq
actes, qui mêle des éléments des deux précédentes versions. La recette
de la première représentation est considérable, et le succès ne se dément
pas jusqu’à Pâques. Cette « bataille du Tartuffe » est l’un des combats
les plus âpres que Molière eut à mener.
Une pièce redécouverte ?
Le Tartuffe est le grand classique le plus joué du Répertoire, loin devant L’Avare, avec 3193 représentations avant la mise en scène d’Ivo van Hove en janvier 2022, ainsi que 185 représentations en tournée. Il s’agit bien sûr de la version en cinq actes, la seule publiée, admise comme définitive. La première version, en trois actes, a été oubliée avant les travaux d’archéologie littéraire de Georges Forestier, avec la complicité d’Isabelle Grellet, qui ont restitué la version d’origine, aujourd’hui choisie par Ivo van Hove pour sa mise en scène à la Comédie-Française. Le Tartuffe est donc paradoxalement la pièce la plus jouée, mais la plus longtemps méconnue dans sa version première.
Depuis les années quatre-vingt, les metteurs en scène ont souvent placé la religion au second plan, dans un souci d’actualisation de la pièce. Ivo van Hove s’inscrit dans cette veine en faisant du texte un drame social.
- Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la Comédie-Française
Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné,
Je me connecte
–
Voir un exemple
–
Je m'abonne
Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.