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Le Pays lointain

de Jean-Luc Lagarce


Le Pays lointain : Au pays des proches

Par Michel Deguy

Extrait de "Regards lointains" publication réalisée suite colloque organisé lors de l'Année (...) Lagarce

De quoi ne saurions-nous rien sans la « littérature » ?

De ce que nous sommes. De quel existential‚ comme dit le philosophe pour annoncer « qu’il y va de ce que nous sommes »‚ est-il ici question ? De notre être à l’abandon. L’homme (Da-sein) est un être abandonné. De l’abandon‚ l’anthropologie‚ la science‚ ne peut rien savoir ; ce n’est pas un objet. Ce mode d’être‚ ce n’est ni la physiologie‚ ni la sociologie‚ ni la démographie ou ce que vous voudrez‚ pas même la psychologie‚ qui le saisissent‚ le traitent‚ mais la littérature. Nous sommes‚ un par un‚ en étant‚ et pour autant que‚ abandonnés.


Une pièce de théâtre en tant que lisible‚ je veux dire donnée à lire‚ et en l’occurrence publiée comme livre‚ appartient à la littérature. En tant que jouée‚ « représentée »‚ événement qui rassemble une collectivité‚ une « grégarité » effectivement réunie‚ ellemême métonymie de la société‚ elle opère‚ ou elle laisse s’opérer ce soir‚ une catharsis‚ pour employer le mot définitif d’Aristote. Je poserai la question tout à l’heure.


Peut-être la plus importante « différence » dont le théâtre‚ selon le génie de son genre‚ est l’exposition – et éventuellement la performance cathartique – est celle qui sépare les vivants et les morts. Le théâtre‚ dans cette tradition qui prend source dans la Grèce du Ve siècle‚ fait sépulture. Antigone veut donner sépulture à son frère pour que le nécros (cadavre) devienne thanatos et puisse alors gagner la région des morts‚ de l’autre côté‚ c’est-à-dire du côté des « immortels ». La pièce de Lagarce appartient à la tradition : à la thanatologie plutôt qu’à la nécrologie. Maintenant‚ il est une différence impliquée par‚ si je puis dire‚ ou comprise dans‚ cette différence vie/ mort‚ qui‚ me semble-t-il‚ est en jeu dans Le Pays lointain : c’est la différence entre être mortel et être mourant.


« Nous » sommes‚ arrivant au théâtre‚ des mortels non mourants.


Le mortel est celui qui oublie la mort. Platon : « ils ne s’aperçoivent pas mourant » (apothnêskantes elathon). C’est la léthargie du lanthanesthaï. La différence passe entre être-mortel et être-mourant ; entre le se-savoir-mortel et le se-voir-mourant (« Monsieur s’excuse‚ il ne pourra pas vous recevoir‚ il est mourant (1). »). Dans l’un‚ « nos jours ne sont pas comptés » ; dans l’autre‚ ils sont comptés ; les « instants » sont les derniers ; la maladie mortelle en fixe l’échéance. Dans le premier cas on « se rit de la mort »‚ oubliée. C’est une condition ; une dissertation. « Nous ne sommes pas des dieux. » (...)


  • 1. Souvenir attribué à André Gide (dont Lagarce était un lecteur attentif).

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