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Le Contraire de l'amour

Écrit en 2011 - français

Présentation

Mouloud Feraoun était kabyle. Il était l’ « un des plus beaux fleurons » de la colonisation française en Algérie. C’est-à-dire qu’il était nourri de culture française, qu’il était instituteur dans un petit village de Kabylie, diffusant donc les valeurs françaises qui lui avaient été inculquées. Il était romancier. Un romancier reconnu, édité aux éditions du Seuil (son roman le plus célèbre était Le Fils du pauvre). Il était l’ami de Germaine Tillion, de Camus, d’Emmanuel Roblès. Un an après le début de l’insurrection algérienne, il a, sur les conseils de Roblès, tenu un Journal. Il le tiendra jusqu’à la veille même de sa mort, à Alger, le 15 mars 1962, quatre jours avant la signature des accords d’Evian. Ce jour-là, en effet, cet homme, qui pensait tomber un jour sous les balles du FLN pour ce qui pouvait apparaître chez lui comme une trop grande proximité avec la France, a été assassiné, avec cinq autres de ses collègues, sur les lieux mêmes de son travail, par un commando de l’OAS. Son Journal, édité au Seuil après sa mort, mais épuisé aujourd’hui, est un document à plus d’un titre irremplaçable. D’abord parce qu’il dit, sans emphase, le quotidien de la guerre, vécue au niveau d’un village kabyle. Les exactions, la peur, de tous côtés, les petites lâchetés –ce que Primo Levi appelait « la zone grise »- et les actes de courage, la torture aussi, les viols systématiques, dès 1956. La mort enfin, omniprésente, et que Mouloud Feraoun sent se rapprocher inexorablement de lui. Irremplaçable aussi parce qu’il montre, au jour le jour, l’évolution, dans sa complexité, loin de tout manichéisme, d’un intellectuel déchiré, dans la richesse et la douleur de sa double culture, à la fois reconnaissant à la France de ce qu’elle lui a transmis comme valeurs humanistes, et en même temps conscient du mépris dont elle n’a cessé de traiter « six millions de musulmans », et, partant, de la nécessité, devenue sans appel, de l’indépendance de son pays. Un constat lucide des erreurs de l’entreprise coloniale, et de l’échec de la présence française en Algérie.