theatre-contemporain.net artcena.fr

Couverture de Le Ciel est pour Tous

Le Ciel est pour Tous

de Catherine Anne


Le Ciel est pour Tous : L’origine de la pièce

Il y a toujours une source, des sources. Quand je fouille pour trouver l’origine de l’écriture de cette pièce à venir, je trouve deux éléments forts : le Traité sur la Tolérance de Voltaire et les premières frictions entre respect de la laïcité et respect de la religion, avec la question du foulard islamique telle qu’elle s’est posée en France, en 1994.


Dans le Traité sur la Tolérance, une de mes lectures régulières depuis quinze ans, il y a la description minutieuse de l’affaire Calas, que l’on cite parmi les drames de l’intolérance.
En quelques mots voici l’affaire : en octobre 1761, à Toulouse, Jean Calas, âgé de 68 ans, dîne en famille, dans l’appartement situé au-dessus de sa boutique. Son fils aîné, Marc- Antoine, s’en va après le dessert. En fin de soirée, le frère cadet de Marc-Antoine le trouve dans la boutique, mort par strangulation, le cou portant la trace d’une corde. Aux cris de la famille, les voisins s’attroupent et une rumeur se répand aussitôt : Marc-Antoine allait se convertir, pour l’en empêcher sa famille l’a assassiné. Cette rumeur lance une machine infernale, qui aboutit à la condamnation à mort de Jean Calas, le 9 mars 1762, et à son exécution sur la roue, le lendemain.
Pour comprendre cette affaire, il faut se souvenir qu’alors les protestants étaient persécutés pour leur croyance : peine capitale contre les pasteurs surpris dans l’exercice de leur ministère, galère ou prison à perpétuité pour les hommes ou femmes surpris en flagrant délit de pratiquer le culte. Bref ! le pouvoir ne prône pas la tolérance. Et la famille Calas, malgré des baptêmes catholiques de protection, était, « de notoriété publique », huguenote.


Je vais citer quelques phrases du Traité sur la Tolérance, afin de préciser ce qui m’a particulièrement intéressée en lisant ce livre :


« Il s’agissait dans cette étrange affaire, de religion, de suicide, de parricide ; il s’agissait de savoir si un père et une mère avaient étranglé leur fils pour plaire à Dieu… »


« Ce peuple (de Toulouse) est superstitieux et emporté ; il regarde comme des monstres ses frères qui ne sont pas de la même religion que lui. »


« Ou les juges de Toulouse, entraînés par le fanatisme de la populace, ont fait rouer un père de famille innocent, ce qui est sans exemple ; ou ce père de famille et sa femme ont étranglé leur fils aîné, aidés dans ce parricide par un autre fils et par un ami, ce qui n’est pas dans la nature. Dans l’un ou dans l’autre cas, l’abus de la religion la plus sainte a produit un grand crime. »


Il me suffit de citer ces trois phrases du premier chapitre de Voltaire pour faire apparaître l’essentiel de ce qui me met en mouvement pour l’écriture de cette pièce : religion – suicide – parricide – superstition – fanatisme –
Quelques mots-clés pour comprendre ce projet d’écriture. Auxquels j’ajouterai le rapport à la famille et la perspective historique.


Dans mes carnets, les premières notes vers ce projet datent de 1994, mais aujourd’hui, en 2008, ces questions me semblent devenir de plus en plus pressantes et même angoissantes. Il y a de nombreux débats et affrontements publiques. En même temps la question de la foi, de la croyance, du rapport personnel de chacun avec la religion (sa religion, les religions), reste une question de l’ordre du privé, voire de l’intime. J’aperçois ainsi un écartèlement entre ce qui est vécu à l’intérieur des êtres et l’affichage politique ou religieux destiné à la médiatisation, c’est-à-dire à tous, c’est-à-dire à personne.
L’écriture de théâtre reste pour moi la possibilité de m’adresser à un grand nombre d’individus, tout en échappant au simplisme du discours, il me semble nécessaire d’écrire sur le sujet du religieux face au laïc, en nous et hors de nous. J’en éprouve le désir et le besoin. Écrire une fable qui aborde les questions de la croyance, du dogme, de la transcendance et du rapport entre les gens qui se passent de Dieu et ceux qui passent par Dieu pour vivre.

Catherine Anne