Rosine : Qu’est-ce que c’est que cette chanson-là ?
Jean : C’est la chanson d’un homme seul. Il n’est pas seul celui qui peut toucher une bête ou un arbre, ou s’approcher avec ses yeux du brouillard bleu ou du soleil. Il n’est pas seul celui qui a goût au jour. Celui qui a un nez, une bouche, des yeux, des oreilles, une bonne chair d’animal. Tout lui tient compagnie. Il y a de grosses joies qui passent dans l’air du temps comme des poissons enflammés. Je n’ai plus rien.
Rosine : Regarde-moi un peu, toi. Qu’est-ce que c’est que ton goût de bouche ?
Jean : Cendres, maintenant.
Rosine : J’entends assez. Mais avant ?
Jean : Avant ? Une soupe de vie.
Rosine : Alors, le changement, ça vient de quoi ? Tu as fait comment pour tout perdre ?
Jean : J’ai tout donné à une femme. (À un mouvement de Rosine.) Attendez. Je veux tout de
suite vous dire, et ça doit se voir que ça n’est pas
une chose à la jeunotte, et je te regarde, et je te
souris, et je te lèche, et je te lèche. On n’a pas fait de
la confiture de framboises avec elle. On a mangé la
soupe de vie en plein, à grosses gueulées solides,
saines, on l’avalait pas triturée, pas écrasée, les
pommes de terre, les choux, les carottes, tout ça
entier. On sentait son bonheur de vivre qui grondait
là-dedans comme un feu de chaudières.
Je lui ai tout donné, sans savoir, mais en plein.
Autour de moi, maintenant, c’est sans couleur, sans
goût, sans rien.
Rosine : Parce que…
Jean : Elle en aime un autre.
Rosine : De son point de vue à elle ça se défend.
Jean : C’est ça le terrible.
(Acte I, scène II)
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