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La Traversée

de Josep Maria Miró

Texte original : La Traversia traduit par Laurent Gallardo


La Traversée : Soeur Cécilia ne vois-tu rien venir ?

Josef Maria Miró revient à la Mousson d’été avec La Traversée, une pièce qui traverse aussi un pan de sa vie lorsqu’il était volontaire dans une ONG en Bosnie.

Dans une première vie, Josep Maria Miró a été journaliste après avoir étudié à l’Université Autonome Barcelone en 2000. Huit ans plus tard, on le retrouve dans une nouvelle vie à l’Institut du théâtre de Barcelone. Entre temps, il a quitté le journaliste et s’est retrouvé comme volontaire dans une ONG en Bosnie.


En 2009, un an après la fin de ses études théâtrales, il publie sa première pièce, La femme qui ratait tous les avions, récompensée par des prix prestigieux en Catalogne mais jamais montée. « Ce texte m’a paru extraordinaire », se souvient le Français Laurent Gallardo qui va devenir son traducteur attitré. En 2011, Le principe d’Archimède consacre Miró comme un dramaturge catalan majeur. La pièce est traduite et jouée en une vingtaine de langues. Il publie quatre ans plus tard La Traversée, qu’il dédie à son traducteur en langue française.


« C’est une pièce que j’ai mis presque vingt ans à écrire », dit Josep Maria Miró. Une durée d’écriture excessivement longue pour un auteur qui écrit d’habitude une pièce nouvelle chaque année. Que s’est-t-il passé ? L’auteur lui-même laisse entendre que l’origine de cette pièce remonte aux années où il travaillait en Bosnie pour une ONG. C’est à cette époque qu’il renonce au journalisme pour devenir écrivain, changeant ainsi son rapport à l’écriture. « C’est une pièce que pose la question du pourquoi on fait les choses », dit Josep Maria Miró. Il n’en dira pas plus. Avec raison, car c’est là le sujet de La Traversée, où l’on sent que l’auteur revient sur un épisode sensible de sa vie.


Tout commence dans le baraquement d’un camp de réfugiés et de déplacés ouvert depuis cinq ans (le pays n’est pas précisé). Soeur Cécilia est là depuis le début du « projet ». Son dévouement est extrême et fait l’admiration de tous. Mais ce jour-là, soeur Cécilia est assise sur une chaise, la tête baissée, les mains tremblantes. Elle est émue. Une petite fille du camp âgée de huit ans a été retrouvée mourante dans des fourrés, les yeux transpercés afin – c’est du moins ce que pense l’héroïne – qu’elle ne reconnaisse pas la personne qui a abusé d’elle. Elle meurt dans les bras de soeur Cécilia après lui avoir murmuré une phrase que l’on ne découvrira qu’à la dernière réplique de la pièce.


Soeur Cécilia vient de remettre le corps à la mère. Couvrant les événements de ce pays en guerre, un photographe vient lui parler. Il a saisi la crispation du visage de soeur Cécilia lorsque la petite fille s’est adressée à elle. Il cherche à en savoir plus, en vain. Soeur Cécilia se méfie de lui, mais il la surprend en lui prenant doucement la main en guise de réconfort.


Soeur Cécilia est plus prolixe dans la scène suivante (toute la pièce est une succession de scènes à deux personnages), où elle confie au responsable de l’ONG, qui travaille main dans la main avec la congrégation religieuse, sa décision de partir et de demander l’ouverture d’une enquête. C’est la quatrième petite fille du camp qui disparaît. Les autres n’ont pas été retrouvées, et elle soupçonne son supérieur hiérarchique, Père Felip.


Partir, dénoncer, c’est doublement mettre en danger l’organisation du camp et son financement. Tout et tous se liguent contre elle. Les agissements de Père Felip sont retors et redoutables, d’autant que soeur Cécilia a un petit point faible : elle a aidé à sa demande un jeune mourant en le masturbant et cela s’est su. Elle part, passagère d’un camion (ô Duras).


Dans un très, très long soliloque, le chauffeur passe de scènes de guerre en légendes atroces. Une séquence plus spontanément filmique que théâtrale, qui tient lieu d’accompagnement métaphorique à la traversée existentielle qu’effectue soeur Cécilia.


Elle quittera le voile, deviendra femme de ménage et ira prier dans les musées. Aucune enquête ne sera ouverte : quelques jours après son départ, le camp est attaqué, personne n’échappe au massacre. A-t-elle eu raison de partir ? Elle doute. « Même aujourd’hui, je ne pourrai pas vous dire si j’ai agi par conviction...ou par crainte. La frontière entre les deux est très mince, je vous assure », dit-elle au photographe retrouvé des années après.

Jean-Pierre Thibaudat


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