theatre-contemporain.net artcena.fr

Couverture de La Bonne nouvelle

La Bonne nouvelle

de François Bégaudeau


La Bonne nouvelle : Entretien avec François Begaudeau

Entretien réalisé dans le cadre du dossier Pièce (dé)montée

Comment le projet est-il né ? Est-ce une commande de Benoît Lambert ? Benoît Lambert a-t-il imaginé le projet avec vous au départ mais sans participer par la suite à l’écriture ?


Ce n’est pas une commande comme La Devise l’était. Benoît m’a dit : j’ai une idée de pièce, un titre, des options générales, et j’aimerais que tu l’écrives. On a beau-coup discuté, débattu, imaginé ensemble des parcours, des personnages, des formes, et puis à partir de mes notes je me suis lancé dans l’écriture.


Pourquoi le choix d’une conversion des dominants ? Pourquoi ce paradigme religieux ?
Est-ce une « ruse dramaturgique » pour produire de la théâtralité et permettre au débat d’idées de passer la rampe en faisant rire ou est-ce un signe des temps (cf. Malraux « le xxie siècle sera religieux ou ne sera pas ») ? Signe des temps, sûrement pas. En tout cas nous laissons à d’autres cet aspect-là des temps, déjà largement commenté. Ruse dramaturgique sans doute un peu. Mais aussi conséquence logique de nos réflexions : ce qui nous intéresse, dans cette affaire, c’est la croyance. Les libéraux ne sont pas simplement des gens cyniques rivés au profit. Pour une part, et parfois en grande part, ils adhèrent à ce qu’ils font ; ils épousent puis véhiculent un système de valeurs, d’opinions, d’affects, et en dernière instance de croyances. C’est par là que le succès du libéra-lisme recoupe le fait religieux. On sait d’ailleurs les nombreux croisements entre le capitalisme et la religion – notamment le protestantisme.


Il y a aussi que nous racontons des gens qui changent. Or je suis assez dubitatif en général sur la capacité des individus à changer radicalement. Je suis notamment peu convaincu par ces films édifiants qui montrent un cadre qui pendant trente ans a servi loyalement sa boîte, et qui soudain prend conscience que tout ça est vain, absurde, nuisible, immoral, etc. Ce point philosophique – est-il possible de changer de système affectif ? – a été l’objet de bien des discussions avec Benoît, et c’est dans ce cadre que le motif de la conversion (et non pas de changement) dissipe mes réticences : en radicalisant la mutation, en la théâtralisant, on laisse entendre que nous ne sommes pas complètement dupes de ce que nous racontons ; que nous assumons l’aspect improbable, et miraculeux au fond, d’un tel revirement.


Est-ce qu’on peut parler d’un dispositif ironique dans la mesure où leur conversion consiste à ne plus croire ? Ou est-ce simplement une référence aux communistes repentis ?


Toute conversion, a fortiori religieuse, consiste d’abord à se déprendre d’une croyance précédente, jugée fal- lacieuse et/ou vaine. Vous croyez dans le veau d’or, vous croyez aux lauriers d’ici bas, abandonnez tout ça, dévêtez-vous en place publique comme François d’Assise. Cela étant posé, il est difficile de ne croire à rien. Souvent il s’agit de substituer une croyance à une autre. Mais sur la nouvelle croyance de nos évangélistes, nous avons choisi de ne pas dire grand-chose. Je dis plus loin pourquoi.
Ce qui est sûr, c’est que nous jouons, non sans une certaine allégresse revan-charde, sur le parallèle avec les communistes repentis. Il s’est beaucoup dit que les communistes ont cru, ont été aveuglés, puis sont revenus de l’erreur en se rendant enfin au réalisme dont les libéraux se targuent. Nous disons une chose simple : en tant qu’il procède de l’acte de foi, le réalisme libéral n’est pas du tout réaliste, sa rationalité pas du tout rationnelle ; ses agents sont aussi aveugles, aussi idéalistes que jadis le plus obtus des staliniens.


Pourquoi le choix d’un talk show ? Ya-t-il une dimension satirique par rapport aux médias ? Est-ce une simple citation de notre époque ? Ou encore un désir de créer « du » jeu ?


Ni intention satirique, ni citation – Benoît travaille même en ce moment à déconnecter ces formes de tout référent, en sorte qu’à aucun moment on ne tombe dans la parodie, le pastiche. Simplement, ces formes sont, à leur manière, du théâtre. Je m’étais d’ailleurs déjà servi du dispositif « talk-show » pour Non réconciliés. Quoi qu’on en pense, ces dispositifs audiovisuels ont quelque chose à voir avec le théâtre itinérant, les tréteaux de village en village. À leur manière, elles participent du spectacle édifiant. Et c’est bien ce que proposent nos six convertis.
Pour moi ces formes sont de la théâtralité offerte. Et aussi des vecteurs de comique. Puisqu’il était entendu dès le départ que la pièce s’avancerait dans un écrin de drôlerie, à la fois par calcul (plaire pour mieux ins- truire) et par tempérament des deux concepteurs du projet.


La dimension de spectacularisation du rituel (présent dans les messes évangélistes) est-elle autant, pour vous, une source d’inspiration que la dimension télévisuelle ?


Tout ça c’est du théâtre, et le théâtre aurait tort de ne pas s’adosser à ces formes, de ne pas attraper un peu de leur puissance d’attraction, de fascination, de divertissement.


Vous avez déjà modifié un peu le texte après la semaine de répétition de juin. Est-il définitif ou allez-vous encore le modifier si vous assistez aux répétitions de septembre ?


Je ne passerai aux répétitions de l’automne que pour saluer amicalement la troupe. A priori, je ne toucherai plus au texte. J’ai rendu une version définitive à Benoît en juillet. À un moment il faut que le texte soit composé. Ne serait-ce que pour que les comédiens commencent à se l’approprier. Reste qu’il est évident que le texte donné le 3 novembre ne sera pas équivalent à son état écrit. Il y aura quelques coupes, des ajustements. Je me tiens à la disposition de Benoît pour retoucher tel ou tel passage si le travail en plateau lui fait apparaître qu’il fonctionne moins bien.


Quelles sont les modifications les plus importantes ? Avez-vous plutôt travaillé avec la gomme (pour la rhétorique télévisuelle notamment, ou la disparition du jeu « Le juste mot » ?)


Entre la version pré-juin et post-juin, il y a énormément de corrections de détail. Des mots ou phrases qui, dites sur le plateau, m’ont semblé faibles ou perfectibles. Mais aussi des ajouts ou modifications plus consé- quents, et liés aux réflexions menées avec Benoît et l’équipe pendant ces cinq jours de juin.


Qu’est-ce qui vous a guidé pour redistribuer différemment certaines répliques ? Le jeu des acteurs, le rythme de la partition... ?


Le critère est variable : parfois c’est technique (tel personnage ne peut pas dire ça à ce moment-là car il fait ci), parfois musical (je travaille beaucoup sur les effets de chant collectif, de polyphonie). Parfois il m’est apparu que tel propos irait mieux à ce personnage, telle tonalité à tel comédien, etc.


Pourquoi avoir particulièrement modifié les deux premières pages ?


Suggestion de Benoît. Le bout à bout donné en juin lui a fait apparaître que la première partie était alors trop surchargée de formes, que la fantaisie y prenait trop le dessus. Il craignait que tout cela escamote l’essentiel : le récit de six parcours. Donc il me demande d’alléger. Et c’est « Le Juste mot » qui passe à la trappe.
Par ailleurs on a soustrait le long exposé sur le capitalisme qui soudain nous semblait trop théorique, alors que ce qui nous importe c’est des vies, des interprétations subjectives de la généralité capitaliste. C’est cette subjectivation qui garantit que La Bonne Nouvelle ne soit pas une dissertation sur plateau, mais bien une pièce, composée de scènes.


Même si ce n’est pas une écriture de plateau (puisque vous avez écrit le texte avant les répétitions) pensez-vous au plateau, aux acteurs qui vont le jouer quand vous l’écrivez ?


En permanence. Je ne peux pas écrire une ligne de théâtre sans songer à son incarnation concrète. A fortiori quand je connais les comédiens, et qu’on a déjà travaille ensemble.


La Grande Histoire est-elle votre première pièce pour le théâtre ? Depuis il y a eu La Devise et maintenant La Bonne Nouvelle. Pensez-vous poursuivre dans l’écriture dramatique ? Quelles contraintes ou au contraire quelles libertés offre-t-elle par rapport au roman ?


Pour mes précédentes pièces, les informations sont disponibles. Depuis Le Problème, écrit en 2007, j’ai peu chômé dans ce domaine.
A priori le genre roman est plus libre. L’auteur y est maître à bord. Mais je crois qu’au théâtre on peut tout faire. Simplement une dimension y est centrale : il s’agit de verbe, toujours, mais de verbe porté par des corps. De verbes en situation. C’est cet aspect qui m’intéresse, et qui est beaucoup moins praticable dans le roman.


Peut-on dire que La Bonne Nouvelle est aussi une pièce sur le langage (son pouvoir, son non-sens, ses stéréotypes...) ?


C’est vrai qu’ici il est beaucoup question de verbe, puisque, dans les monothéismes comme dans le libéralisme, les croyances sont portées par des textes, charriées par des mots. Des mots magiques qui soutiennent la liturgie – réalisme, progrès, croissance, libre concurrence, efficience du marché, modernité. Sans parler, dans un registre moins décisif et plus pittoresque, de la novlangue managériale qui étaye les textes fondateurs.


La fin de la pièce reste ouverte (question du complice qui met les convertis face à leurs contradictions). Quel type de rapport imaginez-vous entre les convertis et Patrick qui leur ouvre les bras ? Comment imaginer ce qui s’est passé après leur rencontre avec Patrick « Après je t’ai rencontré » ? Y a-t-il une dimension christique dans le personnage de Patrick ?
Benoît m’a dit que vous aviez pensé au départ faire dire à la fin aux personnages : « Nous sommes des intermittents du spectacle ». Pourquoi avoir supprimé cette fin ? Je me suis permis ici de joindre deux de vos questions, car elles appellent la même réponse. Comme effleuré plus haut, nous avons fait le choix de rester très évasifs sur l’après-conversion. Comment vivent ces gens ? De quoi vivent-ils ?
À cela nous avions quelques réponses, et par exemple celle des intermittents. Occasion de dire que le statut est sans doute à l’avant-garde d’une réforme générale du salariat en temps de disparition massive d’emplois. Mais finalement nous avons estimé que ce n’est pas la question, en l’occurrence. Et Benoît craignait, à juste titre sans doute, que lors des représentations cet aspect-là prenne le dessus. Que la question du « comment vivre après le libéralisme » occulte ce qui nous importe, à savoir l’analyse psychologique, affective, structurelle, situationnelle de ce qu’il fut, et des zélateurs qui l’ont fait tenir si longtemps.


Les noms des personnages sont bibliques mais pas tous. Pourquoi ? Est-ce pour ne pas figer le sens en associant trop explicitement les personnages à des figures d’apôtres ?


Un symbole devient lourd s’il est systématique. Et puis les deux qui ne portent pas de prénoms bibliques sont, pour des raisons différentes, un peu à part : l’un parce qu’il est un dominé parmi les dominants, l’autre parce qu’il est le gourou, le révélateur, le sauveur, le grand orchestrateur de cette tournée évangélique – et qu’à ce titre ça nous amuse beaucoup de lui donner un prénom aussi banal (et aussi un peu désuet, désuet comme le libéralisme) que Patrick.
Prénom qui laisse suggérer que, comme tout gourou – comme le Christ lui-même ? –, ce maître de cérémonie est un peu un imposteur. Ou avant tout un entrepreneur de spectacle. Ce qui n’empêche pas qu’il croie à ce qu’il fait. Ce n’est pas contradictoire. Nous voulons tenir cette ambiguïté : chaque soir, les six rejouent leur conversion et, la rejouant, la revivent. C’est à la fois faux et vrai. C’est du théâtre.


imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.