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Couverture de L'Usine

L'Usine

de Magnus Dahlström

Texte original : Verket traduit par Terje Sinding


L'Usine : Extrait

Sirpa. - … Ne jamais tourner le dos à la machine, si ça se passe mal… Ne jamais tourner le dos, si ça dérape… Les copeaux qui pleuvent, les copeaux d’acier, les copeaux de polissage… Ils le polissent pour faire disparaître les aspérités. Ils enlèvent les scories. Puis la plaque devient de la ferraille, et on la refond. Et on la refond encore. Elle a une forme donnée, puis elle en a une autre, puis une autre encore. Puis elle fond jusqu’à n’être plus rien, rien qu’une soupe incandescente. Une soupe noire et incandescente. Qu’est-ce que j’ai fait comme erreur ? Ça coûte cher. Ils portent un homme gravement brûlé à travers l’usine, qui a fait l’erreur ? C’était moi ? C’était moi ? La mort dans les doigts… Mais ce n’est pas moi qui suis là, c’est quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui petit à petit me chasse de mon propre corps, quelqu’un qui s’empare de ma vie. Qui dilapide mon argent, qui le fait file comme du sable entre les doigts, je n’ai plus les moyens. Quelqu’un qui mange ma nourriture et qui encrasse mes poumons à force de fumer et qui prend toute la place dans mon lit et m’empêche de dormir. Je n’arrive pas à dormir. J’arrive à peine à me tenir éveillée dans la journée. J’ai fait une erreur. Un homme est gravement brûlé. Le visage noir. Comme mes doigts, noirs. Il faut que je dorme, il ne faut pas que mes mains tremblent ; c’est de ma faute. Ne jamais tourner le dos à la machine, un malheur peut arriver… et alors je me retrouverais dehors… sans salaire, sans travail, sans domicile, une âme sans feu ni lieu… zéro… Il faut que je reste concentrée, que je conserve mon aspect, il ne faut pas que je m’écoule, que je me dissolve – que je perde une goutte de moi-même là où il ne faut pas…


Elle baisse les bras, un couteau tombe sur le sol. On voit maintenant le sang couler de ses poignets. Elle s’affaisse sur une chaise. Rolf remarque le sang, mais reste sur l’expectative.


… ma tête est si dure, comme celle d’un insecte… je vais découper ma tête… La découper… Découper les yeux… Découper la bouche… Je vais découper ma bouche pour en faire un sourire… Vous allez voir… Je vais découper mon cerveau, découper toutes mes pensées comme si je ne nettoyais une plaie, du pus jaune d’un abcès… vider mon cerveau de tout ce liquide croupissant… Puis je laisserai sécher les bords à l’air libre… Puis je m’en irai avec ce trou qui me passe à travers… Puis les remarques me passeront à travers… Puis tout me passera à travers…


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