L'Européenne : Note d'intention n°1
Représenter l’Europe. Voilà ce que l’on demande aux personnages de L’Européenne, artistes de tous horizons rassemblés en résidence. Telle est leur situation, mais telle est aussi la mienne, moi qui n’avais jusqu’alors, comme la plupart des gens, été amené à me prononcer sur l’Europe que sous la forme d’une réponse binaire (oui ou non).
Nous sommes européens puisque nous sommes dans l’Europe. Mais l’Europe est-elle en nous ? Qu’éprouvons-nous d’elle intérieurement ? Quelle représentation, individuelle ou collective, sommes-nous capable d’en donner ?
Pour répondre à des questions pareilles, et donc
écrire le texte de la pièce, je crois avoir eu
besoin de me démultiplier, c’est-à-dire de me
projeter ou de me scinder en plusieurs figures :
- un compositeur persuadé de pouvoir faire mieux
que Beethoven et proposant à la Commission
un nouvel hymne européen ;
- un poète lointainement inspiré par
Walt Whitman et qui se sentirait de taille à
coucher la première épopée de l’Europe ;
- une linguiste belge adepte d’une méthode
pleine d’avenir nommée « inter-compréhension
passive » ;
- une installatrice allemande qui rejouerait
indéfiniment le référendum ;
- un performer portugais révolté ;
- une jeune femme slovaque accompagnée de
la plus vieille Européenne encore vivante ;
- une sous-déléguée à la Direction générale
des affaires culturelles de la Commission européenne
(ou quelque chose comme ça) chargée
d’encadrer les précédents.
Les imaginer, donc, puis m’incarner en eux,
c’est-à-dire imaginer ce qu’ils auraient fait à
ma place. Et le faire.
J’ai toujours pensé (et je sais que Charlie Degotte,
le metteur en scène belge de cette affaire,
le pense aussi) que les sujets les plus graves, les
plus politiques, pouvaient s’accommoder d’une
forme légère, comme celle de la revue ou de
la comédie musicale, qui n’empêchent en rien la
profondeur, l’émotion et la pensée. Car il y a une
sorte d’émotion politique attachée à l’Europe,
monde ancien, mais monde à construire, ou à
reconstruire. Le paradoxe de l’auteur de théâtre,
c’est qu’il a fini avant que tout ne commence.
Voilà où j’en suis. C’est maintenant le tour de
Charlie Degotte. Pour ma part je me sens animé
d’une grande confiance transfrontalière. Même si
je n’ai pas encore de réponses à mes questions,
mais plutôt de nouvelles questions, juste un
peu plus aiguës. Et quand même une certitude,
une seule : il est absolument impossible de
faire mieux que Beethoven.
David Lescot