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L'Homme qui dormait sous mon lit

de Pierre Notte


L'Homme qui dormait sous mon lit : Entretien avec Pierre Notte

Quel rapport y a-t-il entre Je te pardonne (Harvey Weinstein) en juin dernier, et L’Homme qui dormait sous mon lit aujourd’hui ?


La honte. C’est le moteur. Une honte objective et partagée, mais il y a pire. Cette honte de soi, de moi. Quand je mesure la puissance de mon incapacité à agir, à intervenir. De mon impuissance. Rester immobile, encore, face aux petites barbaries qui s’exercent partout, qui pullulent et prolifèrent. Ne rien faire. Cette honte de l’inertie. Le mal fait aux femmes et la honte d’être un homme, cela fermente, cela bout. Cela donne L’Histoire d’une femme ; Sur les cendres en avant ou Je te pardonne (Harvey Weinstein). C’est encore écrire contre, jamais pour. Contre l’impuissance et l’inaction. Ou en réponse, en écho. Faute de mieux, faute d’agir. Ici, faute d’une parole politique, d’un geste engagé, il reste l’invention possible d’un dialogue entre les parties... On ne fait rien, on fait semblant, mais c’est déjà ça. Et on en rit, aussi. C’est la moindre des choses, par souci de décence...


Un comble de lâcheté, non ?


Aussi. Devant l’immensité du drame qui se joue, chacun qui y va de ses excuses, de ses justifications. Chacun se positionne, comme il peut où il peut. On se dispute sur les termes, dire « réfugié » plutôt que « migrant », alors que le « réfugié » ne trouve aucun refuge. C’est ma honte, encore, quand je vais demander au Roumain qui fait la manche, en loques, tous les jours, au pied de mon immeuble, de baisser un peu sa musique parce que j’écris ma pièce sur les migrants... Mais j’écris, tant pis. Je vais fouiller le pire, le mien, et je partage. Je prends de la hauteur, depuis le calme de mon sous-toit parisien d’un arrondissement à un chiffre, je prends la distance qui s’impose, loin du Roumain qui a gentiment baissé sa musique...


Et là, vous imaginez ce pire : un monde où on pousserait les réfugiés au suicide ?


C’est « inimaginable » ? Ce n’est pas déjà ce que qu’on vit ? Le pire, c’est le mépris dont on s’arrange. Toutes hontes bues. Recueillir l’autre, l’accueillir et le sauver, bien sûr. Mais qu’il s’adapte, qu’il prie ses dieux avec discrétion, qu’il ne regarde pas nos filles de travers, qu’il baisse un peu sa musique s’il vous plaît. Et qu’on ait droit à quelque compensation, tout de même. Et quand le bien est accompli, elles ressurgissent toujours, les bestioles immondes de l’égoïsme, de l’autosuffisance, du confort personnel, de la peur qui exclut. Dans le couple, pareil. Dans le travail, pareil. Dans le monde, pareil. Fouiller le pire, c’est toujours aller chercher ce à quoi pourrait ressembler le monde s’il faisait un petit pas en avant vers le pire où on se laisse aller. La poussière sous le tapis, les secrets de famille dans les caves à vin, et le réfugié par la fenêtre.


Et ici, tout finit bien... Vous vous foutez du monde ?


Ça doit être sanglant, saignant, rapide et hargneux. Mais ça finira bien, oui, la musique arrivera, enfin, et la réconciliation possible. La danse, et la vie, souriante, simple, une illusion. Écrire, c’est partager une honte. On fouille, on creuse, on fonce droit dans le fond du pire pour chercher aussi un peu de lumière.


Creuser pour trouver la lumière ? Encore une erreur de calcul ?


Sans doute. Mais les tremblements de terre récurrents laisseront place pour finir aux trois temps d’une valse douce, moment de réconciliation sensuelle. On peut rêver. Et rire, aussi. Pour prendre un peu de distance.


  • PROPOS RECUEILLIS PAR L’AVANT-SCÈNE THÉÂTRE, POUR L’AVANT-PROPOS AU TEXTE PUBLIÉ

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