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Couverture de L'Avare

L'Avare

de Molière


L'Avare : Commentaire littéraire - Acte IV, scène 7

Texte à étudier


Molière, L' Avare, acte IV, scène 7, 1668.



Observer - Analyser


On observera l'énervement du personnage, ses phrases hachées, son emportement hystérique, les exclamatives, sa panique, la personnification de l'argent (jeu des hypocoristiques), ses gesticulations, l'outrance, les hyperboles (« je n'ai plus que faire au monde ! »), les gradations ascendantes (à trois reprises), ses lamentations pleurnichardes (« Hélas mon pauvre argent ».



Son jeu de scène possible (où courir/où ne pas courir = on peut avancer et reculer : le mécanisme crée le comique, sans parler de l'absurde de la phrase...), le jeu sur la double énonciation avec le public, l'avare perd le sens de la réalité, la caricature, l'obsession, la monomanie, le registre pathétique qui tourne au burlesque, le registre dramatique qui tourne à la comédie, mais aussi un idéal classique qui se profile par derrière, la dénonciation d'un vice qui rend l'argent plus adorable qu'un ami (et chez Harpagon, que ses enfants, d'où le quiproquo qui suivra avec Valère), une catharsis du spectateur, chez qui les vices existent - avec moins d'acuité, certes...


Synthétiser



Idéé générale et directrice du commentaire


Molière ridiculise un vice humain sur la scène.


Argument premier : Molière, le maître de la comédie qui utilise dans ce monologue tous les procédés littéraires du comique


Argument second : l'auteur de théâtre combat le vice en le mettant en scène : l'avarice, la pingrerie, l'amour de l'argent, qui aliène le personnage.



Comédie en cinq actes et en prose de Molière, pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673), la pièce intitulée L'Avare fut créée à Paris au théâtre du Palais-Royal le 9 septembre 1668, et publié à Paris chez Jean Ribou en 1669. Les sources de l'Avare étaient trop «classiques» ou apparentes pour que la pièce pût espérer un succès de scandale. Molière s'inspire largement de l'Aulularia (la Marmite) de Plaute, dont il avait déjà imité l'Amphitruo quelques mois auparavant. Au dramaturge latin, il emprunte le personnage de l'avaricieux, du ladre (Euclion) qui cache un trésor puis se le fait voler par un esclave. Mais aussi celui de l'amoureux accusé du forfait ...


Harpagon, par ruse, fait avouer à Cléante, son fils, qu'il aime Mariane; le vieillard prétend imposer ses droits. Une prétendue conciliation tentée par maître Jacques, cuisinier-cocher d'Harpagon, n'aboutit qu'à aggraver la rupture entre le père et le fils. Sur ces entrefaites, La Flèche — valet de Cléante — s'empare de la cassette où Harpagon cache son trésor. C'est alors que prend place le monologue du protagoniste de la pièce.



Démarche du commentaire


Chercher successivement les éléments littéraires (sémantiques, rhétoriques, stylistiques...) qui permettent de mieux cerner l'originalité de ce texte théâtral :


Une scène comique : comique de mots, de parole (ou langagier), comique de situation, comique de geste, comique de personnage.


Harpagon est devenu comme fou après la commotion éprouvée à la perte de sa cassette : perte d'identité, dédoublement de personnalité, hallucinations, personnification, rythme heurté, interjections, questions...


Mais ce fou est traité de manière comique : regarder du côté des didascalies, du jeu avec les spectateurs, des exagérations, des répétitions, des accumulations...


Si bien que Molière met en œuvre la devise de la comédie classique castigat ridendo mores (elle châtie les mœurs en faisant rire, en les rendant ridicules) avec une visée morale : la passion est ridiculisée parce qu'elle est destructrice.


Commentaire littéraire de l'Acte IV scène 7.


Une dimension comique ressort de ce monologue d'Harpagon : le mécanisme, le ridicule, l'outrance du personnage d'Harpagon visent à le tourner en ridicule. Son monologue est le discours d'un personnage tourmenté et excessif, profondément burlesque.


I. Molière, le maître du comique


A. Une comédie de mœurs, de caractère fondée sur le comique de personnage, de situation, de répétition


B. Un monologue savoureux, un festival pyrotechnique de mots drôles, le comique langagier : il conviendra ici de bien souligner la fonction exacte du monologue, à savoir introduire une discontinuité dans le spectacle, des îlots de plaisirs ou de bouffées d'émotions où le spectateur pouffe de rire. Bref, le comédien qui joue Harpagon nous fait un « numéro » (le clou de la pièce tant attendu par le spectateur averti). Et ce morceau disjoint vise à la fois à exhiber l'habileté rhétorique et poétique, l'esthétique déployée par le dramaturge (qui veut faire montre de son art) et à combler le spectateur qui attend pour apprécier ce moment tant souhaité...


II. La dénonciation d'un vice, la satire sociale


A. L'emportement du personnage, l'obsession à la fois pathétique et burlesque de l'argent


B. Une scène très théâtrale, qui prend à parti le public : la double énonciation, le public à la fois spectateur et acteur (rôle de la catharsis)


Elements d'analyse


- Pour le comique de mots


• oxymore, figure qui établit une relation de contradiction entre deux termes qui sont coordonnés l'un à l'autre (ici, le sémantisme du nom commun « argent » s'oppose à la valeur de l'adjectif qualificatif épithète « pauvre »


• hypocoristiques, termes qui expriment un attachement affectueux pour une personne : l'argent identifié à « mon cher ami » « sans toi il m'est impossible de vivre (...) on m'a privé de toi »


• jeu de la personnification, de la personnalisation : la cassette est assimilée par Harpagon à un être aimé


• parallélismes, symétries ou constructions parallèles (par exemple,  « riche ami »/ « mon pauvre argent ») – ne pas confondre avec le chiasme, figure de style qui joue sur 4 termes, en croisant la disposition des termes de même nature grammaticale : Nom + Adjectif / Adjectif + Nom


• constructions grammaticales parfaitement symétriques : « on m'a coupé la gorge // on m'a dérobé mon argent » (pronom personnel indéfini « on » + pronom personnel réfléchi « m' » en position de complément d'objet indirect + verbe (passé composé du mode indicatif) + syntagme nominal COD « la gorge », « mon argent » (avec redondance des phonèmes géminés - voyelles ouvertes o et a + consonne gutturale r et palatale mdéiane j)


• les hyperboles, figures qui consistent à caractériser quelque chose en jouant sur l'intensité, à amplifier l'information (exagération manifeste d'un sentiment, vocabulaire intensif et nécessairement redondant) : « je n'en puis plus; je me meurs, je suis mort, je suis enterré. » - l'hyperbolisation du propos met en relief le délire de persécution de Harpagon -


• la gradation : le discours de Harpagon se développe en faisant se succéder des indications de plus en plus fortes (alignement continu d'affirmations de plus en plus désespérées, calamiteuses, noires : le vol est assimilé à un « crime »)


• jeux subtils du sous-entendu : jeu de mots sur l'opposition des verbes « déterrer » (la cassette était enterrée dans le jardin) et « enterrer » (pour signifier symboliquement la mort psychique)


• rythme ternaire et gradation : « j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie » (l'avarice consiste dans une adoration mystique, religieuse de l'argent)


• jeu des exclamatives (répétitions, redondances) ou des interrogatives : « Au voleur! au voleur! à l'assassin! au meurtrier! »


• redondances, reprises littérales qui caractérisent cette voix qui soliloque et suffoque : « N'est-il point là/ici » (avec variante de l'adverbe locatif : ici –proximité- et là – éloignement)


• la parastase ou accumulation de phrases qui reprennent toutes la même pensée, la même idée : rumination mentale, radotage ou expolition, rabâchage qui expriment l'hébétude de l'avare (figure du ressassement sur le plan sémantique et morpho-syntaxique dans le lamento plaintif d'Harpagon - « mon pauvre argent, mon pauvre argent ! »


• la prolepse temporelle, ou anticipation, prédestination : allusions du locuteur à un avenir proche, à un futur immédiat où les événements se précipitent dans une anachronie absurde (évocation rapide et par anticipation d'une suite d'épisodes saisis dans une isochronie parfaite : « je me meurs » (agonie, suspens de retardement), « je suis mort » (annonce de son propre décès), « je suis enterré» (prolepse narrative avec mouvement de rétrospection du locuteur qui n'existe plus puisqu'il est déjà mort !)


– Pour le comique de geste et de situation


• indications didascaliques : « il vient sans chapeau » (ce qui laisse entendre que le personnage est totalement désorienté, décontenancé – ce détail vestimentaire implique l'idée d' un état de délabrement mental ou d'effondrement de la personne -


• état second, traumatisme subi par le personnage : l'obsession du vol, de la dépossession


• évocation d'un suicide par pendaison


• gestes d'auto mutilation : la didascalie précise « il se prend lui-même le bras » (le jeu de la simulation sur la scène, le théâtre dans le théâtre, le jeu dans le jeu)


• déplacements sur scène : arrivée sur scène depuis le côté jardin en direction du côté cour « il crie au voleur dès le jardin »


• les supplications puis les exhortations et menaces de l'Avare


• les gestes orientés vers le public dans les apartés : « que de gens assemblés », « que dites-vous »


– Pour le comique de personnage


• Effondrement de la personne, de l'organisation de soi (état convulsionnel dû à un choc émotionnel intense)


• Maladie psychotique, névrose obsessionnelle d'Harpagon


• Angoisse disséquante primitive


• Omnipotence personnelle


• Régression pathologique, paranoïa : l'environnement le persécute, il est présent pour le persécuter


• Délire mégalomaniaque : Harpagon veut « donner la question », il se prend pour Torquemada, le grand Inquisiteur, revendiquant des exécutions sommaires et collectives


– Pour la dénonciation du vice dans la deuxième partie :


• évocation dans la pièce d'un riche bourgeois parisien qui ne se préoccupe que de son confort intérieur et de son argent


• Harpagon, un redoutable usurier obsédé par un seul vice : l'appât du gain, l'amour de la richesse qui le transforment en un père odieux, détestable et en un tyran domestique


• la comédie de caractère dénonce l'unique passion de l'Avare : la possession de l'argent, le souci de ses intérêts privés, et d'abord financiers (cette obsession est vide de sens car elle aliène le personnage et le rend incapable de tout contact avec ses proches)


• Molière veut signifier qu'il ne peut y avoir de jouissance et joie de vivre que dans des rapports de réciprocité (la bourgeoisie est impuissante à réaliser un caractère humain acceptable) : le sordide Harpagon s'emmure, s'enferme, il est « de tous les humains l'humain le moins humain »


• satire sociale : sous le règne de Louis XIV, les pièces en or ou en argent sont devenues extrêmement rares, en fait c'était la bourgeoisie qui en possédait la plus grande partie alors que les caisses du roi étaient toujours vides ; lorsque Molière précise que la fortune d'Harpagon consiste est constituée de « bons louis d'or et pistoles bien trébuchantes » (scène 1 acte V), c'est bien pour rappeler ou convoquer un contexte économique contemporain


• satire économique aussi : la thésaurisation (accumulation de capitaux en vue d'une épargne) ne permet pas d'animer un marché économique intérieur (2)



Exemple de développement de la sous-partie B du développement II :


L'hyperthéâtralité de ce monologue


Molière ne considère pas le spectateur comme un destinataire lointain, un juge impartial de son œuvre : il convie son spectateur sur scène, il le prend à parti d'une manière très directe, toujours au moins implicite. Non content de briguer ses applaudissements, il requiert de sa part des compétences nettement définies, affranchies des impératifs de la décence et de la retenue.


Il multiplie les clins d'œil ludiques en direction de son public, en l'invitant à une réflexion sur la question de la moralité, déjà présente dans les œuvres comiques de Plaute ou Horace. Molière veut rappeler ici que le spectacle théâtral, c'est une activité collective : être au spectacle, c'est être avec d'autres à un moment donné, particulier, et se regrouper dans un même lieu sous le motif de participer à un événement. Dans cette scène, la coupure symbolique et traditionnelle qui sépare les « regardés » des « regardants » dans une frontalité, un face-à-face propre à l'événement spectaculaire s'efface, s'étiole, ou en tous les cas montre des porosités.


La réflexion morale inscrit la Comédie de moeurs dans son temps : pièce d'actualité, l'Avare s'adresse à ses contemporains, sans plus éprouver la nécessité de les interpeller directement. Au niveau le plus immédiat, donc, le spectateur est d'abord apostrophé, intégré au jeu scénique dont il devient un interlocuteur ponctuel (et permanent, ici, dans l'acte IV scène 7). N'oublions pas que les « gens de qualité », au XVIIème siècle, se trouvaient assis dans des fauteuils placés directement sur la scène, sur le plateau. Ainsi, Harpagon lance à l'adresse du public : « ils me regardent tous, et se mettent à rire » . Il évoque également le cadre du théâtre : « de quoi est-ce qu'on parle là », »quel bruit fait-on là haut ? », etc...


Pour être simple, et ancien, ce jeu de scène n'en garde pas moins l'intérêt de briser la frontière qui sépare acteurs et spectateurs (intégration de la fiction théâtrale en train d'être représentée face à un public dans une réalité sociale contemporaine). Il ne s'agit pas que d'exposer une affaire familiale quelque peu comique devant une assemblée, un parterre, avec pour seule entreprise de faire rire ou sourire des personnes. Convoquer le public (les « gens de qualité ») sur scène, l'interpeller, le prendre à témoin, c'est d'abord rendre hommage à sa qualité, à ses vertus. C'est l'esprit de jugement de chacun des spectateurs qui décidera, en définitive, de la manifestation, du déclenchement du rire.


Le rire est un plaisir simple et gourmand, qui semble spontané. Et pourtant... Il témoigne d'une bonne façon de juger et donc du bon goût. Le spectateur se laisse prendre aux choses, certes, mais en raison du bon sens naturel et de l'honnêteté de son jugement. Le théâtre est un lieu où s'exerce le commerce de tout le beau monde, où s'exprime une manière d'esprit, plus finement que dans les ouvrages savants ou pédants. Le théâtre classique, depuis Horace (docere atque placere) est verrouillé par une poétique dont le but est de rendre le spectateur plus vertueux : sa fonction est donc prophylactique, thérapeutique. Le théâtre comme art de l'imitation (mimesis) théorisé par Aristote doit approfondir la catharsis (fonction purgative qui relègue le spectaculaire ou opsis en seconde place). Il faut expulser, purifier, purger, épurer nos passions, nos émotions désagréables comme la crainte ou la terreur (phobos), la pitié (eleos) grâce à cette expérience théâtrale. Le spectateur peut, certes, s'identifier à un personnage sur scène... Mais dans cette scène 7 de l'acte IV, c'est plutôt l'inverse. On ne peut que rejeter, à moins d'être soi-même un schizophrène dangereux, les passions mauvaises, les vices qui sont représentés. Harpagon est un personnage monstrueux et le dévoilement de sa nature produit un impact émotionnel dans l'esprit du public. Le spectateur va alors convertir l'horreur de la représentation de vice pitoyable (l'avarice) en une réflexion raisonnée qui l'amènera à ne pas être atteint lui-même par la déraison, la démesure. Le public ressent un sentiment d'horreur, de répulsion, passion suscitée par les passions représentées et donc esthétisées. Et grâce à cette mise à distance, à une prise de conscience distanciée (par l'attitude de réflexion, de compréhension guidée par l'émotion éprouvée), ses sentiments seront purifiés, plus tempérés, plus modérés. Cette définition de la catharsis, propre à Corneille, Racine et à Molière, ne repose pas sur l'imitation ou l'identification... Si le vice fascinait le spectateur, ce dernier sombrerait dans le plaisir de voir le mal.



Exemple d'introduction du commentaire littéraire


Premier alinéa : entrée en matière, si possible in medias res, il s'agit souvent de replacer l'œuvre dans on contexte social et culturel.


Molière, dans l'une de ses préfaces, déclarait que « rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts ». Cinq ans avant sa mort, il crée L'Avare et démontre ainsi que la comédie de caractère, qui fait figure de parent pauvre du théâtre à son époque, peut être un spectacle complet ouvert au rire ou au sourire, mais aussi à la réflexion.

Deuxième alinéa : se concentrer sur le contenu et la situation de l'extrait, le commentaire consiste à étudier le texte et rien que le texte, en perdant jamais de vue ses qualités littéraires.


Dans cette pièce, il met en scène un personnage principal, Harpagon, un vieillard autoritaire qui impose sa volonté à tous es proches et qui soumet ses enfants comme l'ensemble de ses domestiques à la loi de son avarice, de sa pingrerie. Dans ce monologue tiré de la scène 7 de l'acte IV, l'auteur affirme son génie dans une extrême stylisation de la caricature de son personnage, pour mieux faire percevoir une vérité psychologique la plus directe.

Troisième alinéa : annoncer clairement le plan adopté, qui correspond aux centres d'intérêt – ce que l'on juge le plus intéressant à étudier dans l'extrait – en explicitant les deux grandes lignes de son développement, sans préciser les sous-parties qui seront annoncées dans les phrases d'annonce ou de liaison.


Un article proposé par Bernard Migrain (professeur à Epinal)


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