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Couverture de Juste la fin du monde

Juste la fin du monde

de Jean-Luc Lagarce


Juste la fin du monde : Lagarce et la maladie

L'émission "Ruban rouge" au Festival d'Avignon

  • Jean-Luc Lagarce à propos du Sida et de son œuvre. Extrait de l'émission Ruban rouge (France 3) enregistrée en juillet 1995 au Festival d'Avignon. L'émission s'interroge sur le rapport entre sida et création artisitique.


Vivre sa vie et le théâtre

  • France Culture « Mardis du théâtre », extraits de l'entretien entre Lucien Attoun et Jean-Luc Lagarce. Date d’enregistrement : 04/09/1995

Lucien Attoun. – Je voudrais revenir, ce n’est pas moi qui ai employé le mot tabou. Quelles sont les choses dont il ne faut pas parler ? Au théâtre ou ici autour de ces micros.


Jean-Luc Lagarce. – Je ne sais pas, si je savais les choses dont je ne peux pas parler !


Lucien Attoun. – Alors quelles sont les choses dont vous aimeriez parler si vous deviez tenir un journal de bord mais au micro et que personne n’entendent (on pourra effacer tout cela si vous voulez)
Je prends des mots : la maladie, la vie, la mort, la religion.


Jean-Luc Lagarce. – Vous dites la maladie… En l’occurrence, y a-t-il encore un tabou concernant par exemple le sida ?
Les choses en sont à un tel point qu’il va bientôt devenir remarquable de ne pas « avouer » qu’on l’a. J’ai le sida, et je l’ai dit publiquement, ou plutôt : je n’ai pas cherché à le cacher. Mais je n’ai rien « avoué ». Du courage ? Il en fallait peut-être il y a dix ans. Pour moi, je n’ai pas le sentiment de franchir un tabou. Les choses tabous, je ne les connais pas. Si je les connaissais je m’efforcerais de les dire. Mais si je les disais, c’est qu’elles ne sont plus tabous.


Lucien Attoun. – Mais Jean-Luc Lagarce, c’est la première fois que vous me dites ça !


Jean-Luc Lagarce. – C’est à dire que je vous dis quoi, sur le tabou ?


Lucien Attoun. – Vous me parlez du Sida, moi je n’en ai jamais parlé avec vous.


Jean-Luc Lagarce. – Parce que vous ne m’avez jamais demandé. C’est que, jusque là, nos entretiens ne sont pas tombés sur ce sujet… Vous voyez comment fonctionne ce phénomène du tabou… Je n’ai pas à me balader avec le ruban rouge au front ! Je ne vous en ai jamais parlé… mais je ne vous en ai jamais « pas parlé » non plus. Cette question n’est pas venu dans nos conversations… Voilà tout.


Lucien Attoun. – On a une minute de vérité, là…comme ça tous les deux.


Jean-Luc Lagarce. – Mais les autres minutes, depuis le début de notre conversation, étaient « de vérité » aussi, j’espère !


Lucien Attoun. – Vous avez parlé du Sida, nous n’en n’avons jamais parlé. Vous avez parlé d’homosexualité, nous n’en n’avons jamais parlé.


Jean-Luc Lagarce. – Cette semaine quelqu’un de la télévision m’a interrogé de manière ampoulée, sur la question de savoir si les gens du spectacle pouvaient ou devaient parler du sida.
D’abord, j’ai répondu : « Mais tout le monde peut parler du sida ! Et moi, je peux parler, si vous voulez, de la Nouvelle-Calédonie… et de tas d’autres choses ». Mais, évidement il s’agissait pas exactement de cela. Non, ce que mon interlocuteur avait en tête, c’était ce faux problème de l’aveu public de la part des malades un peu connus parce qu’il font un métier public.
Quand vous dites « l’homosexualité ». On me dit « Est-ce que la visibilité (parce qu’on parle comme ça) de l’homosexualité aujourd’hui c’est important ou pas ? » Moi j’en sais rien. En tout cas, pour moi, ce ne l’est pas. Je n’ai pas à dire : « Bonjour, Jean-Luc Lagarce. Homosexuel. » Je m’en fiche. Je ne suis pas un auteur homosexuel pas plus que je suis un auteur franc-comtois. Je déteste ces compartiments. Cela sent le « politiquement correct ».


Lucien Attoun. – Il y a aussi les moments historiques où les choses se disent. Lorsque, il y a quelques années, Jean-Paul Aron, professeur, commentateur politique reconnu, dit : « J’ai le sida… ». C’était extraordinaire.


Jean-Luc Lagarce. – Oui. Vu sous cet angle, vous avez raison.
Aujourd’hui encore, et peut-être bien plus qu’il y a dix ans, le discours anti homosexuel, il en faut bien peu pour qu’il arrive.
Libération voulait écrire un article sur moi. On m’a courtoisement demandé si cet article pouvait faire référence à mon sida. J’ai répondu oui, mais en pensant surtout à moi-même, dans l’esprit dégagé du tabou que je viens d’essayer de définir avec vous. Il me semble que, dans le milieu « libéré » du théâtre, ça n’avait pas plus d’importance que ça… Or dans un festival, il y a quelques semaines, quelqu’un est venu me dire : « Cet article de Libération a été important pour moi, parce que je ne peux pas, moi, m’exposer comme ça ! » Alors, d’accord, ceux qui, comme moi en ce moment, peuvent s’exprimer devant un micro ont peut-être une sorte de mission. Il ne s’agit plus, ici, de revendiquer pour soi-même, mais d’une sorte de devoir de solidarité. Il faut voir que l’exclusion ça existe, et très violemment. Pour moi, quand il a été écrit dans Libération que j’avais le Sida, pendant quelques nuits mon téléphone sonne, pour me dire des horreurs au téléphone. Ça existe, quand même. Ça ne m’empêche pas de dormir (j’ai un répondeur). Quand je dis ça m’empêche pas de dormir, je blague et je blague pas. Ça existe et donc juste pour dire ça, on n’a pas à revendiquer ou pas revendiquer, si ce n’est les gens qui peuvent parler, comme là au micro à France Culture, doivent faire ça.


Jean-Luc Lagarce apprend sa séropositivité

Samedi 23 juillet 1988, Paris. 23 h 35.
La nouvelle du jour, de la semaine, du mois, de l’année, etc., comme il était « à craindre et à prévoir » (à craindre, vraiment ?).
Je suis séropositif, mais il est probable que vous le savez déjà.


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