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Jeune homme sous la lampe

de Frédéric Vossier


Jeune homme sous la lampe : Saint-Laurent, corps sacré

par Charlotte Lagrange (Journal de la Mousson d'été 2016)

Dans ce monologue imaginaire, Frédéric Vossier dresse un portrait de manière picturale. Par petites touches, quasi impressionnistes, il fait apparaître progressivement la gure d’Yves Saint Laurent. Figure publique parce que reconnue pour son art, et médiatisée du fait même de son métier. Figure devenue populaire jusque dans sa vie privée, parfois mise en pâture dans les journaux à scandales, et dernièrement mise en image par des biopics. Jeune homme sous la lampe échappe au genre de la biographie. D’emblée, son titre pose une identité énigmatique, et une situation évoquant l’enquête, l’auscultation, voire l’autopsie.


Car ce chant poétique semble nous parvenir des ténèbres, comme si le créateur de mode lui-même nous parlait depuis le monde des morts.


Dans la suite d’infinitifs et de répétitions anaphoriques qui ouvrent le monologue, l’arrivée du « je » signe un évènement. Qui est ce je ? Il y a quelque chose de l’incantation. Cela pourrait être l’incantation d’un acteur pour entrer dans la peau d’un personnage, ou celle d’un personnage cherchant à faire rejaillir sa mémoire. Ou encore la description des images qui réapparaissent à un homme en train de mourir. Rythmées par des retours à la ligne qui hachent la respiration, les phrases avancent musicalement. Et ce sont les associations sonores qui déterminent ainsi la chronologie du surgissement des souvenirs.


La grande force de ce texte est de nous faire entrer dans l’histoire d’Yves Saint Laurent par une autre porte que celle des évènements. L’histoire se raconte par les yeux du personnage, et plus largement par son corps entier. Les visions, les voix et les odeurs dessinent un paysage intérieur dans lequel on est emporté comme dans un tourbillon extatique.


On part ainsi dans l’inconscient du personnage. Un inconscient qui ne semble pas avoir de prise sur le réel. Celui- ci semble entrer par effraction par tous les pores du corps d’Yves Saint Laurent. On imagine un homme blessé, écorché. Qui ressent le monde comme on retournerait un couteau dans une plaie ouverte.


On voit ainsi défiler les souvenirs comme dans un long cauchemar. Il y a quelque chose du cinéma de Terrence Malick. Où l’on glisse d’une image à l’autre pour aller jusqu’aux origines, pour creuser de plus en plus profondément. Notre imaginaire est poussé à recréer le l qui sous-tend cette succession de sensations et de souvenirs. Le fait de connaître plus ou moins l’histoire d’Yves Saint Laurent nous soutient sans doute dans cette reconstitution du l biographique. Mais les indices nous indiquant qu’il s’agit du créateur de mode n’arrivent que progressivement. Le texte opère un dévoilement progressif de celui qui parle et de la situation théâtrale :

  • « L’amour. / Qu’est-ce que c’est l’amour ? / J’ouvre les yeux. / Le rêve est ni. / Etendu / Blême / On dit de moi que je suis mort / Je dors des journées entières / Parce qu’il y a la paix du velours / Pourquoi dit-on que je suis mort ? / Je ne suis pas mort. / Je dors. »

Portés par l’énigme depuis le début du texte, portés à chercher ce qui même se joue devant nous, cette n appelle à une nouvelle écoute. Réitérer encore. Comme une voix d’outre-tombe qui ne se taira jamais.


En fin de compte, on pourrait écouter cette parole sans savoir de qui il s’agit véritablement. C’est là que la gure publique et populaire devient universelle. C’est là que l’incantation trans gure le personnage en mythe. Peu de mots suffisent ainsi pour saisir toute une complexité amoureuse :

  • « Pierre aime l’étreinte / Il serre très fort / Il étouffe ».

Il suffit d’esquisser les visions cauchemardesques pour ressentir une angoisse archaïque :

  • « Les corbeaux qui s’entassent. / Les ailes qui pénètrent en masse / Qui étouffent la bouche ».

Les souvenirs d’enfance et les traumatismes ainsi dépeints par petites touches reconstituent le corps de cet homme.


Cette histoire racontée par le corps est une histoire de corps. De la manière dont un corps s’est éveillé aux autres corps. Et s’est passionné pour habiller ces corps :

  • « Que le corps respire / Je pense toujours à ce corps qui ne s’encombre de rien./ Tout est dans la coupe / Tout devient mouvement, sensation / Finalement c’est un acte d’amour ».

Et si l’amour est le mot qui revient le plus souvent dans cette traversée onirique, c’est qu’il est l’horizon d’une quête existentielle sans fond et sans n pour ce corps ici reconstitué.


Il est décidément question de sacré dans ce monologue imaginaire.


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