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Écrit en 2010 - français

Présentation

Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est aujourd’hui l’auteur contemporain le plus joué dans nos théâtres. Méconnue de son vivant, son œuvre est désormais traduite en plus de vingt langues et connaît un rayonnement international.

Il y a chez Lagarce, dans l’écriture comme dans l’amour, une nécessité artistique et existentielle de n’accéder à ce qu’on appelle la réussite qu’à travers une longue et profonde expérience de l’échec. Et si, de tentative en tentative, l’échec de l’art se transformait en un art de l’échec ? Entendons : en une mise en échec, en un travail de démolition de toutes les règles du bien-écrire pour le théâtre. « Échouer mieux », pour reprendre le mot de Beckett…

Lagarce n’hésite pas à frôler le précipice de l’informe. Écrivain-rhapsode, il pratique la vivisection dans la chair du drame. Il coupe et découpe, puis recoud.

La profonde originalité de ses pièces tient pour une large part à cette continuité-discontinuité. De la situation dramatique classique telle qu’elle structure une scène, au sens traditionnel, et permet le développement d’un conflit, l’art tout en évitement et en détours de Lagarce nous déporte vers ce que Roland Barthes appelle une « situation de langage ». La parole itérative, tout en repentirs, rétractations et autocorrections des personnages de Lagarce, couvre tout le prisme, très large, de son théâtre. Un autre caractéristique majeure de son art tient au point de vue qu’il adopte sur l’action dramatique : « Être déjà mort et regarder le monde avec douceur ». Si le drame traditionnel est un art du présent, d’un présent qui fuit en avant vers la catastrophe, et si le roman est un art du passé, le drame lagarcien, où la narration a barre sur l’action, fait constamment remonter le passé dans le présent. Ici, « mort déjà » signifie plus-que-présent, libre d’évoluer entre présent, passé et futur. Dans sa mise en tension de l’intime et du politique, ce théâtre est ouvert à la Multitude. « Oser chercher dans son esprit, dans son corps, les traces de tous les autres hommes. » Telle est la réussite du théâtre de Lagarce que l’échec personnel à vaincre la séparation et à trouver l’amour fusionnel s’y résout in extremis en amour transpersonnel de l’humanité dans son ensemble. Amour sans mièvrerie ni complaisance. Juste ce qu’Aristote désignait comme la vocation de la poésie dramatique : dégager et exalter « le sens de l’humain ».

Jean-Luc Lagarce : ''Atteindre le centre'' et autres textes inédits.

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