Scène 12, la fille des Dubois revient à Guyenne alors que le village est en pleine révolte. Elle retrouve les lieux de son enfance et s’interroge sur l’attachement qu’elle a pour cette terre. Mise à l’épreuve par le choeur des habitants, elle est sommée de choisir son camp : prouver son appartenance à la communauté villageoise en rejoignant la lutte ou bien partir. C’est à la scène 19 qu’elle racontera comment sa famille est partie s’installer en ville alors qu’elle était encore enfant car son père a trahi le village en acceptant de vendre ses terres au gouvernement.

Extrait (pages 29-31)

12.

La vieille cultivatrice de tomates : Ecoute-nous bien, la petite, pis décide, si t'es d'ici ou d'ailleurs

Le choeur des habitants : Y a quatre-vingt-dix ans, c'était la forêt ici

La vieille cultivatrice de tomates : Quatre-vingt-dix ans, c'est une vie d'homme

Le choeur des habitants : Pas le temps de rien oublier
Pas le temps de perdre les albums de famille

La vieille cultivatrice de tomates : Y a quatrevingt-dix-ans, là où y a tes pieds, c'étaient des épinettes pis des bouleaux jaunes ben serrés

Le choeur des habitants : Pendant que les ours se gavaient de bleuets, tranquilles, dans le nord du pays ça crevait de faim en ville

La vieille cultivatrice de tomates : On a envoyé des gars comme
Le vieux qui étaient les jeunes du temps

Le choeur des habitants : Les vieux qui étaient les jeunes du temps
y ont arraché des souches y ont brûlé les souches
y ont attelé la vache qu'ils avaient pas mangée
y ont planté des graines
Ça a poussé

La vieille cultivatrice de tomates : Contre toute attente, ça a poussé
Pis un jour, les vieux qui étaient les jeunes du temps ont fini de travailler jusque juste avant que la nuit tombe

Le choeur des habitants : Y ont pris une bière
Pis y ont regardé la nuit s'installer

La vieille cultivatrice de tomates : Les yeux fixés sur le nouvel horizon qu'ils venaient de dessoucher
y ont vu une aurore boréale se dessiner dans le ciel

Le choeur des habitants :
Y en avait déjà vu
Mais pas d'aussi belles
D'aussi vertes
Sirènes célestes

La vieille cultivatrice de tomates : Pis là, les vieux qui étaient les jeunes du temps, y ont dit :

Le choeur des habitants : ici, c'est chez nous

La vieille cultivatrice de tomates : On aura jamais le confort d'ailleurs, mais on manquera jamais de rien

Le choeur des habitants : Si c'est pas ta lutte
si c'est pas ta terre
si c'est pas ton pays...

La vieille cultivatrice de tomates : ...fais comme les autres

Le choeur des habitants : Pars !

(Immobilité totale)

La vieille cultivatrice de tomates : il y a des fois, où il faut aller au-delà de soi, ma belle
Ça, ton père l'a jamais compris à toi de choisir maintenant
Choisis bien
Pis vite