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Couverture de Du piment dans les yeux

Du piment dans les yeux

de Simon Grangeat


Du piment dans les yeux : Tableau 3

Extrait

Avec l'aimable autorisation des Éditions Les Solitaires Intempestifs dans le cadre du Prix Sony Labou Tansi

- Maintenant, la vieille 102 s’est enfoncée dans le flot du trafic d’Abidjan.
- Maintenant, Mohamed se retrouve seul sur le trottoir.
- Devant chez lui.
Mohamed – Je passe le portail et je suis dans la cour.
- Pourquoi tu n’entres pas, alors ?
Mohamed – J’ai pas peur !
- Tu hésites ?
Mohamed – N’importe quoi !
- Il ne danse plus tout à fait. Et même son sourire s’est fait plus discret.
- Qu’est-ce qu’il a ?
- La déconvenue.
- Il ne se doutait pas ?
- Bien sûr qu’il se doutait.
- Eh bien alors ?
- L’espoir…
- Toujours !
- Et la fierté, évidemment.
Mohamed – Je suis le premier de plus de cent !
- Evidemment.


- Finalement, Mohamed se décide à passer le portail de la maison familiale.


- Dans la cour, ses frères et sœurs s’agitent.


- Les plus petits courent.


- Crient.


- Cherchent les recoins ombragés.


- Les plus grandes s’affairent.


- Elles coupent.


- Rangent.


- Pilent.


- Et puis sa mère au centre.


- Regarde !


- Je vous présente sa mère.


- Une belle femme !


- Pas encore tout à fait usée, malgré les enfants, oui.


- Malgré la vie rude.


- Regardez : une belle femme, agenouillée devant ses casseroles aux odeurs épicées, qui lève la tête en entendant son fils arriver et qui sourit.


- Hakima.


Hakima – Tu es déjà de retour ?


Mohamed – J’ai réussi mon examen, maman ! J’ai eu les félicitations de l’école ! Je suis le premier ! Tu te rends compte ? Le premier de toute la classe ! On est plus de cent !


Hakima – C’est bien mon fils. C’est bien !


- Regarde comme il hésite !
- Il ne s’éloigne pas…
- Il attend.
- Quoi ?
- Le bon moment.
- Il attend.


Mohamed – Ils m’ont réservé une place pour l’année prochaine…
Hakima – Tu sais bien que ça va pas se passer comme ça. Déjà, tu as eu la chance d’aller jusqu’en troisième, c’est bien.
Mohamed – Ils me gardent une place pour le lycée !
Hakima – Ta sœur, elle est même pas entrée au collège. Elle voulait apprendre, elle aussi. Et elle était capable !
Mohamed – Maman, je te parle pas / Je te parle de moi, là.
Hakima – On pourra pas faire plus.
Mohamed – C’est pas juste.
Hakima – L’année prochaine, c’est le tour de ton frère. C’est ça qui est juste.


- Silence…
- Les casseroles fument
- Les odeurs montent.


Hakima – Ton frère a le droit d’apprendre à lire et à écrire, lui aussi.
Mohamed – Moi aussi, je devrais pouvoir continuer. C’est pas juste . Pourquoi on doit toujours payer ?
Hakima – Parce qu’on n’est pas ivoiriens.
Mohamed – Mais je suis né ici, moi.
Hakima – C’est pas pour ça que tu es ivoirien.
Mohamed – J’ai jamais vécu ailleurs qu’en Côte d’Ivoire, moi !
Hakima – Arrête de faire comme si tu ne comprenais pas. Nous sommes burkinabés,
Mohamed. Tu es burkinabé.
Mohamed – Je devrais quand même pouvoir continuer mes études comme tous les autres. Je devrais pouvoir.


- Il a baissé les yeux
- Ici, on ne s’oppose pas.
- On ne discute pas, ici.
- Ici, tout ce qui t’arrive t’arrive parce que cela doit t’arriver.
- Tout ce qui t’arrive t’arrive parce que cela doit t’arriver !


Mohamed – Je pourrais travailler.
Hakima - …
Mohamed – Je veux dire, je pourrais travailler pour me payer l’école.
Hakima – L’école, ça coûte très cher.
Mohamed – Tu pourrais quand même essayer d’en parler à papa ?


- Elle contemple son fils, Hakima.
- Elle contemple son fils et passe ses doigts entre ses cheveux courts .


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