Congo Jazz Band : Écrire pour le théâtre, c’est jouer avec le feu.
par Mohamed Kacimi
Enfant d’un pays africain, l’Algérie, fracassé par la colonisation, je me devais d’écrire, un jour ou l’autre, sur la
colonisation, dont le bilan ne peut être positif que pour le
colonisateur, jamais pour le colonisé.
Mais quand il s’agit de son passé colonial, la France a
beaucoup de trous de mémoires, et faute d’affronter,
avec franchise, ce passé qui ne passe sérieusement, elle
l’idéalise.
Je rêvais justement d’habiter et d’écrire dans ce trou de
la mémoire collective : la colonisation. À
mes yeux, écrire pour le théâtre revient
à remuer le couteau dans la plaie.
Écrire, pour le théâtre, c’est jouer avec le
feu.
Et l’occasion m’en a été donnée par
mon ami, Hassane Kouyaté quand il m’a
proposé d’écrire une pièce sur le Congo.
L’histoire de ce pays est le terrible condensé de toutes
les horreurs subies par l’Afrique au moment où le continent tout entier a été dépecé par les puissances européennes. L’exploitation coloniale du Congo belge a fait
cinq à huit millions de morts.
Cet « Holocauste oublié » est l’œuvre du roi des Belges,
Léopold II. Obsédé par l’idée d’avoir une colonie, à l’instar
de toutes les puissances européennes, il engage l’explorateur, Henry Morton Stanley. Celui-ci a pour mission
d’acquérir des terres et établir des comptoirs belges
dans toute la région, sous prétexte de mettre fin au trafic
d’esclaves par les Arabes. Le roi des Belges, obtient la
reconnaissance internationale de « l’État indépendant
du Congo », qui reste sa propriété personnelle et non
celle de son royaume.
L’exploitation de la colonie, avec le commerce de l’ivoire et
du caoutchouc va enrichir le royaume de Belgique. Mais
elle va ruiner les populations du Congo : travail forcé, villages rasés, tortures et mutilations : le Congo devient
le pays des mains coupées.
Ces massacres sont couverts par les discours humanistes du Roi des Belges qui assure à la terre entière qu’il
en train d’offrir la lumière de la civilisation à l’Afrique.
Mais la barbarie est telle que les premiers témoignages
parviennent en Europe.
Le Congo devient sujet d’un scandale international.
Le Roi Léopold est contraint de céder « Son Congo » à la
Belgique. Le pays restera une colonie belge jusqu’à l’Indépendance, tant espérée.
Mais très vite, l’Indépendance vire au cauchemar
avec l’assassinat par des policiers Belges, de Patrice
Lumumba, héros de l’indépendance et qui va précipiter
le pays dans une spirale de violences, de guerres et de
dictature qui dure jusqu’à nos jours.
Congo Jazz Band est une pièce qui s’ouvre par le retour
d’un voyage mouvementé à Kinshasa d’une troupe de
musiciens. À leur retour, les musiciens doivent raconter,
à un de leur collègue qui n’avait pu
être du voyage, leur séjour mais aussi
l’histoire du Congo qu’ils viennent de
découvrir. Tout en évoquant l’histoire
tragique du pays depuis son acquisition par le roi des Belges jusqu’à l’assassinat de Lumumba, les musiciens
font voyager en même temps dans la
mémoire musicale du pays.
Au Congo, la musique est aussi importante que le foot-
ball au Brésil. Les chansons de Kabasele, auteur du
mythique Cha Cha Cha l’indépendance, de Franco ou de
Papa Wemba feront partie de ce voyage.
Les évocations de l’histoire seront entrecoupées par des retours permanents au présent du Congo et de l’Afrique, cherchant toujours à voir quelles sont les incidences de ce passé tragique sur le quotidien dramatique des congolais et des africains aujourd’hui.
Congo Jazz Band ne vise pas à être un cours d’histoire, au contraire, la pièce sera une traversée en musique, un conte contemporain, tragique et drôle aussi, qui permettra au public d’embarquer pour le Congo, et de découvrir sur place, c’est dire, au théâtre, comment et pourquoi ce pays si béni par les dieux est tombé à ce point aux mains des diables.
Mohamed Kacimi in le dossier de production de le mise en scène de Hassane Kouyaté
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