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Comment retenir sa respiration

de Zinnie Harris

Texte original : How to hold your breath traduit par Blandine Pélissier


Comment retenir sa respiration : Entretien avec l'auteur

Propos recueillis et traduits par Charlotte Lagrang

De quelle idée êtes-vous partie pour écrire cette pièce ?


Je pense que je voulais explorer cette sensation que nous avions en Angleterre que rien ne pouvait nous arriver parce que nous faisions partie de l’Europe. D’une certaine manière, alors que des choses terribles se produisaient dans d’autres parties du monde, nous nous sentions en sécurité.
Je n’y ai jamais cru. Pour moi, nous étions seulement chanceux. Je voulais renverser cette fausse idée et dire : regardez, il suf t de quelques évènements pour que nous nous retrouvions à la place de ces gens. Donc, nous devrions avoir beaucoup plus de compassion et de bienveillance.
Les médias semblaient ne pas comprendre que ces gens fassent la traversée. Ça me mettait en colère. Pour moi, il était tellement évident qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Que ces gens étaient seulement désespérés. Je suis partie de la colère que j’avais alors. Quand j’ai écrit cela, ce n’était que le début de cette crise des réfugiés, mais j’avais la certitude que ça allait continuer et s’empirer.


Au départ Dana a encore le choix -


Au début elle a tous les choix du monde. Elle peut choisir où elle vit, comment elle vit, elle peut choisir quel parfum aura sa sexualité, elle peut discuter les nuances tandis que quand elle est totalement démunie, il n’est plus question que de survie et le concept même de choix lui est retiré.
Une femme qui travaillait sur l’holocauste m’avait rapporté cette phrase « nous n’avions plus rien d’autre que nos corps ». J’avais souvent cette phrase en tête quand j’ai commencé à écrire.
J’avais envie de faire passer Dana de quelqu’un qui a tout à quelqu’un qui n’a plus qu’elle-même.


Et ce renversement concerne aussi le pays dans lequel elle vit -


Oui l’Afrique devient le continent refuge pendant que l’Europe s’écroule.


Pourquoi avez-vous travaillé sur la gure du diable ? En lisant j’avais l’impression que vous travailliez sur le sens littéral de « vendre son âme au diable »


Oui c’est une des questions de la pièce : la transaction, le prix, ce que vaut une vie humaine.
Au début de la pièce, la vie de Dana et de son entourage a de la valeur. Dana a de l’argent, elle a des moyens, elle a le choix. Mais à la n, elle n’est plus qu’une statistique. Je voulais trouver une manière d’explorer la marchandisation de la vie humaine et de la morale. C’est une histoire faustienne. Dana ne peut pas supporter qu’il y ait le moindre commerce de la relation amoureuse. Et on voit que c’est un luxe, un privilège parce qu’elle vit dans une société occidentale protégée. Le démon vient de là où il n’y a pas d’autre choix que de monnayer sa vie. Il connaît la face obscure de l’âme depuis le début, comme s’il était dans un contrat faussiez.


Pourquoi le démon ne veut pas être endetté auprès de Dana ?


Il veut payer, parce que s’il paie, il peut dire que leur rencontre ne signi ait rien, que ça n’était qu’une transaction nancière. Alors que quelque chose de vraiment joli a eu lieu entre eux.
Ce n’est pas qu’une peur de l’engagement. Il est horri é par le fait qu’ils se sont vraiment rencontrés intimement. J’aimerais qu’on sente dans la première scène que c’est un couple qui tombe amoureux. Ces deux personnes sont en train d’apprendre à s’aimer. Et le démon ne peut pas supporter ça, alors il a besoin de présenter ça comme une transaction qui soit commerciale et non émotionnelle.


En quoi cette rencontre « amoureuse » provoque la chute de Dana ?


Je ne dirais pas que Dana chute. C’est plutôt le monde qui bascule autour d’elle. Parce qu’elle a rencontré un démon et surtout parce qu’elle le dé e en maintenant que leur rencontre était amoureuse et pas commerciale. Alors il va orchestrer le renversement du monde de façon à ce qu’elle comprenne qu’elle n’est que ce qu’elle vaut.


Le premier tableau est surprenant car contrairement aux autres scènes qui sont fondées sur des situations théâtrales très claires, et qui semblent dessiner un drame à station, cette scène prend un tour plus poétique -


C’est en fait le cauchemar de Dana. Au début de la pièce, c’est un luxe de ne vivre cela que comme un cauchemar. Mais à la n le cauchemar est devenu réalité.


C’est une forme de prémonition ?


D’une certaine manière oui.


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