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Couverture de Clôture de l'amour

Clôture de l'amour

de Pascal Rambert


Clôture de l'amour : Thématiques abordées

abécédaire

L'(A)cteur et (est) le personnage


Ainsi que l’indique Pascal Rambert, le texte de Clôture de l’amour a été écrit pour ses acteurs, un mode de travail récurrent chez l’écrivain. Dans une interview publiée sur le site internet des Inrocks en septembre 2011, il précise : « Ayant déjà travaillé avec Audrey, j’avais son physique en tête et des sonorités dans l’oreille. Pour Stanislas, j’ai puisé à ce que je savais de lui dans la vie. »
Si l’histoire racontée n’est pas celle d’Audrey Bonnet et de Stanislas Nordey, l’utilisation de leurs propres prénoms pour dénommer les personnages est ambiguë. De même, les caractéristiques physiques des acteurs sont détaillées tout au long de la pièce. Que provoque ce choix du dramaturge ?
Si Stanislas Nordey considère que ce choix permet l’identification absolue de l’acteur à un texte, Audrey Bonnet met également en lumière la force d’entendre son propre nom dans la pièce qui se joue. Elle exprime la force de ce choix dans l'interview des Inrocks précédemment citée :
« Quand j’entends mon prénom, ça vibre à des endroits très profonds, jusque dans mon inconscient. Ça m’interpelle de façon encore plus forte que si mon personnage se nommait Marthe ou Kate. Même si, intimement, ça résonnait très fortement, le fait que l’héroïne s’appelle Kate dans Le Début de l’A. fabriquait de la distance. Là, il y a un degré de réalité supplémentaire qui crépite dans l’air.”
Interrogés au plus profond de leur être, il est impossible aux comédiens de créer un personnage distinct de leurs propres expériences personnelles. Du côté du spectateur, que provoque le choix fait par Pascal Rambert de flouter la frontière entre l’acteur et son rôle ? Là encore, divers niveaux de lecture pourront émerger. »
Certains pourront percevoir cet effacement de la frontière entre l’acteur et son rôle comme un renforcement de la position voyeuriste du spectateur. L’effet produit peut alors être l'accentuation de la violence de la situation, le sentiment du réel étant exacerbé. D'autres, à l'inverse, verront dans ce brouillage des codes théâtraux une occasion pour le spectateur de s'identifier plus fortement à l'histoire elle même : comme pour les acteurs, elle peut résonner en lui sans passer par le filtre d'un personnage fictif.


(B)érénice de Jean Racine


En parlant de son spectacle, Pascal Rambert fait référence à la mise en scène de Bérenice jouée par Antoine Vitez et Madeleine Marion. Il évoque le fait que par la force de la parole, Titus et Berenice font en quelque sorte bouger les colonnes d'hercule du théâtre. De son côté, Racine présentait sa pièce en ces termes, dont les résonances sont profondes avec Clôture de l'Amour :
« C'est-à-dire que Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu'on croyait, lui avait promis de l'épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. Cette action est très fameuse dans l'histoire ; et je l'ai trouvée très propre pour le théâtre, par la violence des passions qu'elle pouvait exciter. En effet, nous n'avons rien de plus touchant, dans tous les poètes, que la séparation d'Enée et de Didon, dans Virgile. Et qui doute que ce qui a pu fournir assez de matière pour tout un chant d'un poème héroïque, ou l'action dure plusieurs jours, ne puisse suffire pour le sujet d'une tragédie, dont la durée ne doit être que de quelques heures ? (...) A cela près, le dernier adieu qu'elle dit a Titus et l'effort qu'elle se fait pour s'en séparer, n'est pas le moins tragique de la pièce ; et j'ose dire qu'il renouvelle assez bien dans le cœur des spectateurs l'émotion que le reste y avait pu exciter. Ce n'est point une nécessité qu'il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l'action soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. »


(C)orps / Chorégraphie


La figure d’Audrey Bonnet, ses gestes tendus, ne sont pas sans évoquer la silhouette de Pina Bausch. La chorégraphe, véritable source d’inspiration pour Pascal Rambert (ainsi que Claude Régy) est une figure intéressante à mettre en regard du spectacle de Clôture de l’amour. Les thématiques récurrentes de l’œuvre de Pina Bausch telles que l’amour, les rapports entre les hommes et les femmes, tout comme les gestes de tension et de relâchement des danseurs, sont autant de points communs entre l’œuvre de la chorégraphe allemande et la pièce de Pascal Rambert.
Plus globalement, le fait que cette pièce soit constituée de deux longs monologues appelle un travail d’ordre chorégraphique. Que font les acteurs quand ils n’ont pas la parole ? Comment leurs corps se font-ils face ? Comment interagissent-ils, à côté, avec ou au-delà des mots ? Toute une chorégraphie des postures et des mouvements est à inventer, dont le texte et ses jeux de langage esquissent parfois le dessin : « il est possible que je trouve un corps reste droite il est possible que je trouve des mains reste droite ne flanche pas il est possible que je trouve oui un corps reste droite un autre corps que le tien il est possible que je trouve une autre peau oui une autre peau que la tienne respire ne t’assois pas Audrey reste droite »
Alors qu’Audrey est assaillie par les paroles de Stan, écrasée par le poids de ses mots, elle doit cependant rester droite, campée. La dynamique des corps est comprise dans la dynamique des mots. Le texte joue le rôle d’une partition chorégraphique.


Le Coeur (F)roid


Quand Klaus Michael Grüber a monté Bérénice, il disait à ses acteurs : « Tu dois jouer avec le cœur froid et la bouche chaude ».
" Grüber a toujours travaillé à partir du deuil, des choses qui peu à peu se font et se défont et se perdent. Grüber montre les failles du système, ses imperfections, dans un souci brûlant d'apercevoir l'impossible perfection. Ce qui le détermine est la précarité de toute action et la nécessité de poursuivre malgré tout Grüber est un critique aigu de notre civilisation. Il se tient là, se disant qu'il faut dire oui à l’enchaînement de souffrances et de solitude qui mène à la mort. Grüber porte le deuil des hommes ". (Kurt HUBNER, propos rapportés par Colette GODARD, Le Monde, 12 octobre 1984)
Il y a dans le jeu d'acteur de Stanislas Nordey une réfrigération des sentiments qui mène à la rupture. L'homme se met en position de violence envers lui même pour que la séparation soit effective. L'homme a décidé que les choses n'étaient plus à la hauteur qu'elles étaient au départ. Finis les cimes du début de l'amour.


(H)omme & Femme


Dans sa note d'intention, l'auteur met bien en avant le fait qu'il écrit pour Audrey et Stanislas. Il écrit pour des personnalités : l'ouverture, la bonté et la surface d’accueil d’Audrey. Il n'écrit pas pour la femme, il écrit pour une femme car c'est comme cela qu'il aime écrire. Le processus d'écriture chez l'auteur vient de son expérience en tant qu'homme et en tant qu'amant. En ayant vécu en trente ans avec trois femmes différentes, il les a mis au centre de son travail, de sa sensibilité. « Écrire pour les femmes, c'est écrire sur un inconnu, c'est le fait d'aimer regarder, observer, écouter et se taire, tout comme dans l'art du théâtre. »
Pour le metteur en scène, il est très important, voire primordial de mélanger le vécu, la vie quotidienne à son art. Clôture de l'amour parle d'homme et de femme, mais le théâtre reste la métaphore principale d'un acte physique et amoureux.
Les trois ruptures amoureuses qu'a connues Pascal Rambert depuis le sortir de son adolescence ont produit du théâtre, une capacité d'affrontement qui est à l'origine de cet art.
La pièce parle de la violence de deux identités. D'un côté, celle de l'homme dont le cœur est devenu froid : impuissant à aimer encore, le langage de Stan, guerrier, offensif, exprime avec force et courage ce que d'ordinaire on cache : « les raisons pour lesquelles je te quitte. » De l'autre, celle d'Audrey, femme qui, avec calme, montre elle aussi son pouvoir de destruction de l'autre : « Elle rentre à l'intérieur de son intérieur à lui pour le dévitaliser. Elle rentre comme une fine aiguille pour ponctionner ce qui fait qu'il est ce qu'il est. »


Langage (I)nformatique


Le théâtre de Pascal Rambert est témoin de l'évolution de la société et notamment de ses manières de parler. À plusieurs reprises dans la pièce, Stan fait sien le langage informatique pour parler de sa relation amoureuse :
« Il faut se re paramétrer
re paramétrer notre relation
et alors ?
où est le problème avec le mot reparamétrer collé au mot relation ? il faut changer les codes
ça ne va pas non plus Audrey ?
bon alors comment dit-on ?
recommencer ?
repartir à zéro ? »
Ce à quoi Audrey répondra :
« Tu crois que la vie c'est un stage d'informatique ?
qu'on reparamètre ?
qu'on fait des sauvegardes et qu'on vide la corbeille ? comment les mots arrivent-ils à devenir soudain si froids ? »
De son côté, Pascal Rambert affirme qu’« il est intéressant de voir comme le langage est pénétré par d'autres termes. Parler d'amour avec un langage froid remet les êtres humains à leur place: des machines ultra sophistiquées ... ».


(L)ogorrhée


À tour de rôle, les personnages de Clôture de l’amour dévident une parole presque sans majuscule et sans ponctuation, qui procède par répétitions, reprises et variations, infinies précisions. La structure des phrases, proche de celle d’une conversation quotidienne (où les mots ne sont pas toujours correctement agencés ou suffisamment précis), illustre la difficulté de communiquer, la difficulté de se séparer lorsque l’amour entre deux êtres humains est en péril. Ce n’est pas l’histoire d’un couple qui finit par rompre, c’est la rupture en elle-même.


Le (S)entiment amoureux, entre culture et nature.


À la fin du spectacle, on voit apparaître Audrey et Stan avec des plumes d'indiens. « Sous d'autres cieux se passent aussi d'autres combats sur des ruptures ». Il y a une dimension culturelle de l'amour et une dimension naturelle du sentiment amoureux, et vice versa. Dans le cadre de Clôture de l'amour, on perce les cœurs avec des mots, à travers le langage. Mais le metteur en scène et les interprètes ont la volonté de creuser le sentiment amoureux en le contextualisant. L'amour et la culture du sentiment amoureux ne sont pas les mêmes, ni d'une époque à l'autre, ni d'un pays à un autre. Pascal Rambert explique ainsi que mettre en scène le même texte dans un pays différent tel que la Croatie ou la Russie, amène des révisions textuelles, bien entendu, mais aussi des changements dans la mise en scène : le langage verbal comme le langage corporel exigent d’être réinterrogés à chaque fois, afin de trouver pour l’amour et la rupture amoureuse la forme la plus juste et la plus intense qui soit.


Le Lys dans la (V)allée – Honoré de Balzac


Le Lys dans la vallée est le point de départ, selon Rambert, de la façon dont le sentiment amoureux se forme dans l'être humain. Rêve collectif de pouvoir mourir d'amour. Au final, on se rend compte qu'on y survit. Il n'est pas facile de continuer à aimer comme dans Le lys dans la vallée. L'idée du « pour toujours » appartient à des choses plus anciennes. L'homme mortel essaye de multiplier les intensités et donc de multiplier les amours.


Vite(Z) Antoine


"Tuer avec les mots" : Pascal Rambert a suivi les cours de théâtre du comédien et metteur en scène français, Antoine Vitez. A l'école de Chaillot, il apprit très vite qu'avec cet homme de théâtre et de lettres, la parole primait. Ainsi, lors de répétitions, il apprenait à ses élèves à ne pas se toucher. Se toucher, c'est faire parler le corps et entrer dans un autre langage. C'est la raison pour laquelle les deux comédiens de Clôture de l'amour sont très éloignés spatialement. Les faire se toucher dit le metteur en scène, c'est faire redémarrer leur histoire. C'est mettre en jeu la sensibilité et sensualité des corps qui peuvent parfois tromper la réalité. Pascal Rambert a été tenté de montrer les chemins d'émancipation de l'un et de l'autre. L’œuvre Clôture de l'amour est désignée comme un objet fait pour faire parler des autres. Pour les faire réagir à ce qu'ils ont vu et entendu. Au sortir du spectacle, c'est la guerre qui continue, c'est au tour des hommes de vivre leurs histoires.



Extrait du dossier pédagogique réalisé par des étudiantes de l’Université Lyon 2 en Arts de la scène : Yasmine Idrissi, Anthéa Pichot, Camille Bouchard, Emilie Roussel, Valentine Bernardeau, Yana Parra et Cécilia Thollon


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