De Beckett, on connaît surtout les grandes pièces (En attendant Godot, Fin de partie, Oh les beaux jours) ; on connaît moins les courtes pièces (Cinq dramaticules), qui sont pourtant de véritables condensés des thèmes qui lui sont chers : le temps, l’attente, la solitude, la mort, l’errance… Ses personnages y apparaissent dépossédés de tout. Ne leur reste que la parole dans une forme théâtrale réduite à sa plus pure expression. Ainsi, dans Fragment de théâtre II, A et B sont-ils les envoyés d’on ne sait quelle bureaucratie pour déterminer, à l’aide d’épais dossiers, si l’occupant des lieux, C, qu’on voit penché à la fenêtre, doit ou non se suicider. Une sorte d’exercice comptable s’engage, l’un cherchant à le sauver, l’autre à le charger. Malgré ce qu’un tel sujet peut avoir de morbide, la pièce ne sombre jamais dans le désespoir. Comme l’écrit James Knowlson dans sa biographie de l’auteur, elle « en dit long sur les idées noires que Beckett ressasse à l’époque. Elle a néanmoins une telle légèreté de ton, un tel bonheur d’invention dans les jeux de mots ou la parodie stylistique, qu’elle témoigne aussi de la faculté de récupération de son auteur et de sa capacité à traiter par l’humour sa tristesse native. »