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Cathédrale des cochons

de Jean D'Amérique


Cathédrale des cochons : Lettre aux lycéens

Par Jean D'Amérique

Chers/chères élèves,


Je suis très heureux de savoir que vous allez me lire, que vous allez traverser cette pièce tissée avec des mots de sang et de lumière.
Paru chez les éditions Théâtrales en 2020, Cathédrale des cochons est un poème dramatique, une longue phrase où se déploie la voix d’un poète emprisonné depuis six mois par le régime autoritaire de son pays. Il profite d’une correspondance avec son amoureux pour pousser un long cri de révolte où transparaît une sombre cartographie de sa ville, hachée par la symphonie des fusils et une épouvantable moisson de cadavres. Une sorte de logorrhée où l’espace intime voit naître un chant politique, nourri par la sève lucide de la poésie.
J’ai entamé l’écriture de cette pièce au lendemain d’un massacre d’État dans le quartier populaire La Saline, à Port-au-Prince. Certains dramaturges écrivent avec la « scène » dans la tête, moi j’étais à ce moment acteur d’une vie, ou plutôt d’une mort, plus ardente que le théâtre lui-même, et je tentais le calvaire d’en être le scribe. Je prenais des notes avec les mains tremblantes. Chaque mot, une épreuve, tantôt rythmé par le bruit du clavier, tantôt saccadé par le chant des balles qui façonne les nuits de cette ville. Nous étions aussi à l’orée d’une série de contestations populaires contre le pouvoir en place, les rues étaient chaque jour bondées de gens en colère, j’étais parmi eux, et chaque fois cette valse de poings levés se soldait par un cocktail de morts et de blessés, et chaque fois je sentais alors dans l’air un goût de dictature avec ce régime et sa police. Il fallait que je crache pour reprendre souffle, et c’est là que j’ai commencé à ciseler les phrases, dans une véritable urgence.
Le poète en moi est descendu parmi la foule opaque des blessures pour tenter de dresser un phare. Je voulais renouer avec la puissance des mots qui m’a toujours aidé à tenir, car j’ai vu et j’ai vécu beaucoup de violence dans le milieu urbain depuis mon enfance et c’est seulement en écrivant que j’ai commencé à respirer. J’ai d’abord voulu élaborer, dans l’urgence, un portrait de cette ville brisée. Et toute une série de choses m’est revenue : le sang chaud du poète Federico Garcia Lorca, exécuté par le régime franquiste, l’ombre du général soleil Jacques Stephen Alexis, immense écrivain englouti par la dictature, ou encore Asli Erdogan, dont le roman Le bâtiment de pierre m’est cher, qui était alors encore en prison en Turquie pour avoir utilisé sa plume contre un régime autoritaire – un peu comme l’ancêtre Nazim Hikmet -, et tant d’autres anonymes dont j’ai croisé les corps inertes au détour d’une sombre ruelle. Je me suis plongé dans la chair de tous ces accusés de poésie. Ainsi, mon personnage, au-delà du récit de sa ville meurtrie par la violence, mène le pari d’une parole érigée contre la répression. Il fait résonner les mots pour essayer de retrouver un souffle, une lumière. C’est là sans doute une perspective qui rejoint ma démarche d’écriture théâtrale : créer des personnages dont la parole poétique est la première arme d’existence.
Je suis ravi de partager avec vous cette voix aux prises avec les ténèbres, ce cri nourri de colère qui émerge des abysses pour exploser les barreaux et vaincre la nuit barbelée. Il s’agit pour moi de mettre en lumière l’urgence de cette parole qui s’élève contre l’oppression, dans le même esprit que la seule et longue phrase qui compose la pièce.


Je vous souhaite un bon cheminement dans ce chant de résistance et d’espoir face à la nuit.


Bonne lecture !


  • Jean D’Amérique

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