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Couverture de Amerika, suite

Amerika, suite

de Biljana Srbljanovic

Texte original : Amerika, drugi deo traduit par Michel Bataillon , Ubavka Zaric


Visiblement ivre, Karl est seul dans le noir. Partout, les restes du dîner. Karl est assis par terre, devant la fenêtre ouverte qui laisse entrer les lumières de la ville. Il fixe son regard dans une direction indéfinie. De temps en temps, une sirène ou un autre son aigu transpercent le silence de la nuit. Le vent lui souffle au visage. Habillé d'une chemise fine et pieds nus, il tremble. Il verse le reste du vin de la bouteille, il boit, sa tête tourne. Malgré lui, la mélodie de Noël, du début de l'histoire, commence à résonner dans sa tête si fort qu'on l'entend aussi. Le son est déformé, la voix presque méconnaissable, mais la chanson y est :


" Since we have no place to go
Let it snow, let it snow, let it snow…. "


Karl chantonne ce qu'il entend. Il se lève et se traîne jusqu'à la cuisine. Il chante de plus en plus fort et cela résonne terriblement. Il attrape l'étagère qui cache le coffre-fort et avec fracas la pose par terre. Toutes les choses qui étaient dessus tombent. Karl monte sur le lave-vaisselle et colle son oreille contre la serrure du coffre-fort. La musique est assourdissante mais, en tournant la roue, comme il a vu faire dans les films, Karl " écoute " le bruit de la serrure du coffre-fort. Il choisit un code au hasard, essaie d'ouvrir. Sans succès. Il écoute de nouveau. Il tourne la manette, la tourne. Il renonce. Dans un de ses tiroirs, il prend un énorme tournevis. Il l'enfonce dans la serrure, il cogne avec le marteau, il cogne et le tournevis et la serrure et le mur. Puis on entend cogner de l'autre côté du mur. Karl s'arrête. Il essaie de faire sauter la serrure. Sans succès. Le téléphone sonne. En essayant d'attraper le téléphone, Karl se casse presque le cou. Ivre, il répond.


KARL : Oui ? Oui…Oh, Raoul ! Mais c'est Raoul ! Raoul m'appelle ! Dis Raoul, qu'est-ce que je peux faire pour toi ? Qu'est-ce qu'il te faut ? Allez, Raoul, dit librement. Combien il faut que je paie ? Enfin, Karl se tait et écoute. Qui a appelé ? Qui se plaint ? Non, ce n'est pas chez moi. Non. Pendant qu'il prononce ces mots, Karl enfonce le tournevis dans une petite fente qu'il a fait dans le coffre-fort. Je n'ai rien entendu. Rien. De toutes ses forces, Karl cogne le tournevis avec le marteau. Comment ? Maintenant ? A ce moment ? Juste à ce moment ? Je n'ai pas entendu. Non. Karl rit d'un rire d'ivrogne. De nouveau, il cogne encore plus fort. La porte du coffre-fort cède. Comment ? Quand ? Maintenant ? Tu sais quoi ? En fait, cette fois j'ai aussi entendu. Je ne sais pas ce que c'est. Ce n'est pas chez moi. Karl rit fort. Il ouvre la porte du coffre-fort. Je ne sais pas de quoi il s'agit, Raoul. Ce n'est pas chez moi. Je ne sais vraiment pas comment je peux t'aider. Karl raccroche. Ivre, il rit aux éclats. Il regarde dans le coffre-fort. Il en sort une enveloppe blanche et une petite boîte en velours. Il s'assied derrière la table. Il ouvre la boîte. Il y trouve une précieuse montre en or. Il prend la montre, l'observe et la met à son poignet. Puis il ouvre l'enveloppe et en sort quelques photos. Il regarde. Les photos sont de formats différents. Karl les regarde une à une. Il les contemple, les tourne en cherchant une explication Puis il s'arrête sur une photo qui porte une inscription au dos. Karl lit à haute-voix. A la maison. Le téléphone sonne. On voit Karl frissonner presque. Il regarde le téléphone, il se lève et décroche. (La voix rauque) Allô ? (Il tousse, il répète ) Allô ? Le silence. Karl écoute. Impatient, il répète. Allô ? De l'autre côté le silence puis ce " click " et le crépitement de la ligne téléphonique. Madame ? Madame, est-ce que c'est vous ? Madame…
Karl écoute. Puis, sans aucune pause, très émotif, il se met à parler.
Non, madame, ce n'est pas Sam. Je ne suis pas Sam. Sam n'habite plus ici. Je ne sais pas où il est. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Qui est Sam, madame ? Et pourquoi vous ne savez pas où il est, si c'est votre fils. Pourquoi vous pensez qu'il est là et pourquoi vous pensez que c'est moi ? Vous ne reconnaissez pas votre propre enfant ? Comment est-il possible que vous le confondiez avec quelqu'un d'autre, un parfait inconnu ? Sa voix, n'est-elle pas quelque chose de particulier pour vous ? Vous ne connaissez pas la voix de votre propre fils ? Karl se tait et pose l'écouteur sur ses genoux. Il ne raccroche pas. Après quelques instants, il recommence. Sam est peut-être en danger. Il a peut-être besoin de votre aide. Il a peut-être envie de vous entendre. Il regrette peut-être de ne pas vous avoir vu depuis si longtemps. Il regrette que vous ne soyez pas venu lui dire au revoir quand il est parti, que vous ne lui ayez pas répondu à ses lettres…
Karl écoute ce que la vieille dame peut dire pour sa défense. Madame ? De l'autre côté, le silence. Sam est mort, madame. N'appelez plus. Karl raccroche.


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