À la carabine : Note sur le texte
- « La possibilité même de se défendre est le privilège exclusif d’une minorité dominante. » Elsa Dorlin, Se défendre, une philosophie de la violence
- « Ne détourne jamais les yeux de cette réalité. Rappelle-toi toujours que la sociologie, l’histoire, l’économie, les graphiques, les tableaux, les statistiques finissent tous par s’abattre sur le corps avec une violence inouïe. » Ta-Nehisi Coates, Une colère noire
- « La violence des femmes, telle que le féminisme la revendique, ne pose pas de bombes ; elle ne coupe pas de têtes. En revanche, à défaut de prise d’otages, elle s’empare du langage. » Eric Fassin, in Penser la violence des femmes
Ce n’est pas une réparation. Ce n’est pas une résilience. Parce qu’il y a des points de non-retour, des
intolérables. Parce qu’à la violence extrême ne répond pas l’espoir, ni la compassion, ni la compréhension.
Parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas sauver, des irréparables. Parce que l’irréparable ne doit pas
être un renoncement. Parce que quand on a été tiré trop bas il n’y a pas de sortie par le haut, il faut éclater
le mur à la dynamite pour se sortir du trou. Parce que l’Histoire a canonisé Martin Luther King et diabolisé
Malcom X, alors que l’un n’aurait pas pu se faire entendre sans l’autre. Parce qu’on exhorte les soumis-e-s
à la non-violence, au silence, à l’humour, à la patience, afin d’éviter que les forces ne se renversent. Parce
que les femmes qui usent de la violence deviennent aussitôt des monstres. Parce que ça ne peut plus se
passer comme ça. Parce qu’à la violence répond la violence, implacable, furieuse.
Le point de départ de l’écriture, c’est l’histoire d’une enfant de onze ans qu’un tribunal français a reconnue
consentante à son propre viol. Cette enfant devenue jeune femme, l’écriture l’invite à se faire justice elle-
même. La pièce met en scène la jeune fille et son agresseur, un ami de son frère, dans une situation qui
dérape, qui n’est pas préméditée, mais dont l’agresseur demeure responsable, pour ne pas dire coupable.
Il n’y aura pas d’homme au plateau, mais deux comédiennes pour porter cette histoire. Parce qu’il ne s’agit
pas de rejouer, de redonner à voir la violence, mais de s’en ré-emparer. De la réinvestir pour mieux la
déjouer, pour mieux la combattre. Aussi parce qu’il ne s’agit pas de punir l’agresseur mais de régler ses
comptes avec un système qui ne reconnaît pas ses victimes. Parce que nous vivons dans une société qui
invente des signes de consentement aux victimes et qui cherche des excuses aux violeurs. Parce qu’on ne
veut pas punir le viol. On ne veut pas punir les violeurs. On ne veut pas rendre leurs corps aux femmes.
L’institution les renvoie à leurs blessures avec une leçon de morale.
Le texte aurait pu s’appeler « par la violence ». Une écriture « à la violence », comme Niki de Saint-Phalle
peignait « à la carabine ». Un geste sans détour qui prend la forme d’une prise de possession, prise de la
violence par deux femmes, femmes dépossédées de la violence dans leurs luttes, dans les représentations
de leur corps, corps désarmés et violentables à merci, par les mots, par les coups, par les images, dans la
rue, dans les livres, sur les écrans. Se défendre, parfois, c’est moche, mais ce n’est pas une raison pour se
laisser faire. Se défendre au point d’être indéfendable, c’est parfois le prix à payer pour ne pas se briser.
- Pauline Peyrade
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