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Vortex

Phia Ménard ( Chorégraphie )


: Conversation avec Anne Quentin

et Phia Ménard, directrice artistique et Jean-Luc Beaujault, dramaturge

Le Vortex


En météorologie, dans les tornades et cyclones, on parle de vortex pour désigner une circulation atmosphérique tourbillonnaire (spécifique d’une dépression) matérialisée par l’enroulement d’une ou plusieurs bandes nuageuses spiralées autour d’un centre de rotation. C’est donc une zone de basse pression, aussi appelée « œil du cyclone ».


VORTEX / LUTTE POUR LA VIE


Dans Vortex, il y a ce double jeu : je joue du vent qui lui-même se joue de moi. Je joue à la guerre avec lui, mais elle advient. Il y a ce rapport trouble, ambigu entre cette matière dévorante, fascinante qu’est le vent et le désir d’en finir. Vortex montre une succession de mues qui opèrent dans la lutte. Une lutte à mort ? Une lutte pour la vie ? Une survie ?


Oui, il y a lutte. Mais vivre, n’est-ce pas lutter ? Chaque combat n’est-il pas une tentative de renaître ou espérer renaître ? Et si tous ces combats sont vains, ils disent une utopie, celle de croire qu’on va dompter le vent… Mais il n’y a rien d’héroïque à tenter de se défaire sans cesse. La transformation impose de passer par une série d’états qui vont du courage à la lâcheté, de la guerre à l’abandon, de l’acceptation au rejet. L’essentiel est : qu’en reste-t-il ? Que fait-on de toutes ces matières qui nous entourent, nous enserrent, nous polluent ? Tout est matière dans Vortex, à l’exception du personnage du début. Il est costard-cravate, caché derrière un masque blanc, archétype d’un corps social qui rend invisible l’individu. Pour tenter d’exister, l’être devra se défaire et se défaire encore, accepter de devenir larvaire, de se vider pour muer. C’est une quête sans fin, mais j’en sors vivante !


Le vortex est un vent. Il est central dans la pièce. Au-delà du fait que c’est un élément éphémère et instable, qu’avez-vous, toi et ton équipe, appris de sa manipulation ?


Nous avons travaillé le vent de manière pragmatique, depuis trois ans, et l’avons testé lors de multiples tentatives qui tiennent plus de l’artisanat que de la recherche scientifique. Tout comme la glace, le vent est un élément instable. Le vent rend nerveux, il est froid, il nous sature vite. Il nous demande, à nous humains de nous adapter à lui, et non l’inverse. En ce sens, il nous oblige à nous déposséder, à lâcher prise notre volonté de tout contrôler. Il fait des choses, seul, et très bien… Il faut lui laisser de la place et en même temps ne pas perdre le fil du propos. Quoi qu’on fasse, il ne répond jamais de la même manière aux mêmes perturbations qu’on lui inflige.


Bien sûr, nous savons domestiquer certains de ses effets, mais à peu près, sur des formes très générales. Impossible de le faire plier de manière fine à nos désirs. Et l’on ne peut pas s’écarter, varier même de manière infime ce que l’on a décidé et a fonctionné. Il faut de la rigueur pour travailler avec lui. On pourrait jouer davantage, provoquer des effets spectaculaires, mais ce n’est pas notre propos, cela ne sert pas le sens et ne serait que complaisance. Mais, finalement, même en l’observant, en l’apprivoisant, le vent demeure un mystère et peut à chaque instant amener le spectacle là où on ne l’attend pas. Il est notre théâtre, le décor que nous nous sommes choisis, mais il est invisible…


Et puis, il y a ce plastique, omniprésent, polluant, étouffant…


Le plastique évoque les poubelles, le pétrole, la consommation, la pollution… Des entraves, toujours, mais qui se matérialisent dans des matières tellement banales, tellement utilisées qu’on ne les voie plus. Le plastique est si présent qu’il ne peut paraître artificiel.


Le dispositif est circulaire. On peut y voir une arène, un ring, une piste ?


C’est le vortex, ce tourbillon concentrique qui nous imposait le 360°. Mais cette contrainte de départ a développé notre imaginaire. L’individu est encerclé de ventilateurs comme dans une cage aux fauves. Il n’a d’autre ressource pour avancer que de tourner, tourner jusqu’à la folie. Même les animaux enfermés deviennent fous.


Avant Vortex, tu as créé P.P.P., (Position Parallèle au Plancher), pièce jonglée avec des boules de glace. Glace et vent sont des matières extrêmes, aussi belles que brutales, fascinantes autant qu’affolantes. Elles créent la vie, la maintiennent, mais peuvent aussi entraîner la mort… C’est cela qui t’attire ?


Je crois que j’ai choisi d’abord ces deux matières parce qu’elles nous sont communes à tous. Ce qui m’intéresse, c’est l’élément palpable, incontrôlable, transformable, donc vivant. Or la glace et le vent symbolisent des états instables en mouvement permanent, la glace se transforme en eau, le vent tourne… Je cherche à expérimenter les capacités de l’humain au milieu d’eux. L’air est une réflexion sur l’être humain. Je ne cherche pas l’exploit, la prouesse, chacun d’entre nous pourrait faire ce que je fais, expérimenter ses limites. Mais voudrait-il se laisser enfermer comme je le fais sous des couches et des couches, dans le vent qui m’encage ? Et puis, je me demande quel sens a l’exploit aujourd’hui dans un monde où le virtuel crée des prouesses, des sensations tellement plus fortes ?


Tu crées trois pièces autour du vent : Vortex, l’Après-midi d’un foehn Version 1 et l’Après-midi d’un foehn. Trois manières d’expérimenter l’air, qui s’inscrivent elles-mêmes dans un projet plus vaste intitulé ICE: Injonglabilité Complémentaire des Eléments. Tu as voulu dépasser le jonglage avec balles ?


Il me semble que P.P.P. (Position parallèle au plancher) marque un tournant. Alors que pendant 20 ans, j’avais jonglé avec des objets, des balles, j’en ai un jour éprouvé les limites. L’objet s’est usé. J’ai vu que le jonglage et ses balles étaient fonctionnels, ils demandent surtout une maîtrise technique mais ne peuvent pas tout raconter. Avec P.P.P., j’ai appréhendé la glace, une matière éphémère et dangereuse qui fond, casse, brûle. Immaîtrisable à l’inverse du jonglage avec des objets, où tout peut se contrôler, y compris le ratage, cet échec que les temps contemporains ont appris à théâtraliser. Le jonglage au fond, pour moi, c’était juste de l’exploit spectaculaire. J’ai jonglé tant que j’étais en représentation de moi-même, dans l’apparence, dans la peau et un genre sexuel qui ne m’appartenaient pas. Le jour où j’ai pu affirmer ma différence, revendiquer un autre sexe que celui que la biologie m’imposait, le jonglage n’avait plus de sens. Mais mon expérience me sert encore. J’appréhende l’espace de manière très élargie face à un objet qui vole. Je connais les trajectoires et le vent impose des trajectoires.


Tu nommes ces 3 spectacles autour du vent : installations-performance. Une manière de pervertir le cadre classique des genres artistiques ?


L’installation renvoie aux arts plastiques, à l’inerte. La performance à la mise en jeu d’un être humain, aléatoire, irreproductible. Cette dualité m’intéresse. Elle ouvre des horizons que les catégories danse, cirque, théâtre n’autorisent pas. Le champ artistique auquel j’appartiens est ouvert à l’imaginaire, pas aux cadres. Il s’agit de défendre un propos dans une écriture artistique. Pourquoi classer alors que la société nous contraint déjà à tant de catégories figées, comme indépassables ? C’est une position politique cohérente avec le sens de notre propos : questionner l’identité, défendre le droit d’être hors norme, a-normal… C’est tout le sens de notre ligne artistique : qu’on nous fiche la paix avec ces identités prédéterminées, acceptons l’être humain tel qu’il est ou tel qu’on ne l’imagine pas. Acceptons ses états de corps…


Des états de corps symbolisés par ces passages que sont les mues de Vortex. Chacun des dépouillements semblent comme paroxystiques. Ils racontent le désir, la fusion, le combat, la violence… Eros contre Thanatos ?


Il y a la beauté, le dégoût, la domination aussi. Des sensations violentes qui nous rappellent qu’on est vivants. La violence fait partie de nous, enfouissez la et elle ressortira toujours plus fort. Il vaut mieux l’exorciser. Mais si violence il y a dans Vortex, elle est cathartique. Elle est aussi sans doute une révolte contre le corps subi. Mais je crois que c’est presque inconscient. Je sais que je ne m’interdis aucun geste, sauf à contredire le sens du propos. Pour le reste… Y a-t-il de l’Eros ? Sans doute, mais où ? Du Thanatos ? Sûrement, partout…

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