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: Un écrivain

« C’est là-bas, je le comprends seulement aujourd’hui, que j’ai commencé à mûrir, à étudier, à faire l’amour, à manger et à boire, bref à être moi-même plutôt que celle qu’on s’attendait à me voir être. C’est là-bas que j’ai appris qu’il est bienheureux de recevoir, appris aussi que tout être humain, si vil soit-il, mérite d’être pour moi un objet de respect et même d’envie, car il sait quelque chose que je ne serai peut-être jamais assez vieille pour savoir, ni assez sage, ni assez bonne, ni assez tendre. »
M.F.K. Fisher, Une mariée à Dijon


Cette histoire, Mary Frances Kennedy Fisher l’a écrite en 1943 bien après sa séparation d’avec Al Fisher, qui probablement ne consomma que trop rarement son mariage avec sa jeune épouse qu’il emmenait à Dijon. Elle l’écrit juste après le suicide du second convive, Tim Parrish, à qui elle donne le pseudonyme de Chexbres.


Cette cruauté de sa vie, Mary Frances Kennedy Fisher ne l’évoque jamais dans ses textes. Elle écrivit toute sa vie sur la cuisine, ce monde heureux, brutal et subtil, trouble et raffiné. C’est au travers de ce prisme de la cuisine qu’elle nous livre sa vision du monde, ou plutôt son rapport au monde, un mélange d’ironie, de mélancolie, de tendresse et de réalisme. Son écriture fut saluée par le poète W.H. Auden, qui la qualifie de plus grande styliste de la langue américaine du vingtième siècle.
La force de l’écriture de Mary Frances Kennedy Fisher, c’est d’abord de taire l’essentiel pour le laisser sentir à ses lecteurs, et aussi de savoir rendre compte de l’ambivalence des émotions. Ainsi la ville de Dijon dans les années 20 sous sa plume sent le pain d’épices le matin, mais elle y entend les mouvements étouffés des escargots qui agonisent dans les tonneaux où la logeuse les fait dégorger. La logeuse déborde d’une hospitalité gourmande, et son mari lit l’Action Française sous la lampe à suspension du salon.
Si M.F.K. Fisher semble suspendre son jugement, nous laisse imaginer ses sentiments lorsque pendant des heures elle attend dans une voiture garée dans la cour d’un vigneron que son jeune mari et son hôte aient fini leur dégustation de vin dans une cave interdite aux femmes, on sent qu’elle n’en pense pas moins et que c’est aussi pour elle l’occasion de bien d’autres observations et réflexions, dans cette cour de ferme.


La cuisine est son lieu de prédilection, sans doute parce que c’est à la fois le lieu de la cruauté : du massacre, du dépeçage, de la mortification, de la cuisson, de la macération, mais aussi du plaisir, et de la jouissance de la vie au travers de l’acte essentiel et quotidien de manger.


La cuisine et spécialement la gastronomie sont souvent des lieux de conservatisme, de tradition, d’élitisme et de différenciation sociale. Il n’en n’est rien pour M.F.K. Fisher, qui met en scène avec ironie son jeune couple d’américains, découvrant maladroitement le plaisir de la chair, le plaisir de l’amour et celui de la cuisine. Elle écrira, ensuite, Un loup à ma table traité sur la cuisine en temps de pénurie, de dèche, de misère : elle ne s’intéresse donc pas aux restaurants comme des symboles du luxe et de la distinction. Celui de qui elle veut être digne du cadeau qu’il lui a fait, c’est Charles, le serveur. Nous ne saurons rien de lui, hors des heures où il servit M.F.K. Fisher au restaurant des Trois Faisans à Dijon, mais ces heures là résument, en un prisme, toute la grandeur, la misère, l’admiration, l’amour, la déception, la tendresse qu’on peut éprouver dans une rencontre.
Les textes de M.F.K. Fisher rendent compte d’un rapport à la vie, tendre, digne, exigeant, amoureux, radical. C’est ce rapport à la vie et aux autres que je souhaite transmettre par ce spectacle.

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