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: Entretien avec Sébastien Derrey

Entretien réalisé avec Frédéric Vossier

Comment ce texte t'est-il parvenu ? Quel a été l'effet premier, immédiat à la lecture ?


Sébastien Derrey : Le texte m'a été transmis il y a quatre ou cinq ans par Stéphanie Béghain qui s'occupait du comité de lecture du Studio Théâtre de Vitry (comité qui a depuis déménagé au T2G). J'ai tout de suite été frappé par la langue, avant même de comprendre. Un choc, semblable à celui de la lecture de Guyotat. Cela vient du fait que Debbie Tucker Green cherche d’abord l’impact de la phrase, un choc sonore, physique, une émotion brute et décontextualisée. Le sens, l’histoire, viennent dans un second temps. Par recomposition de l’oreille et de l’œil du spectateur. Des mélodies fantômes. Mais aussi parce que c’est une langue hybride, ouverte, pétrie d’influences, d’histoires, de voix, de toute une mémoire, personnelle et collective. C’est en cela que la traduction (de Gisèle Joly, Sophie Magnaud, Sarah Vermande) est vraiment bonne, parce que les traductrices se sont attachées avant tout à rendre le rythme, à la métrique, à tout le travail d’accentuation de la langue. En même temps, la langue est très simple, avec un effet immédiat, réaliste. On reconnaît ces sons et ces rythmes. Ceux des jeunes, d’un parlé populaire, de la rue, du rap. Il y a une éloquence de cette langue qui est aussi tentée par le chant. Même si Debbie Tucker Green écrit dans un registre de langue qu’un anglais peut reconnaître immédiatement, il y a un travail très précis de composition et ré-accentuation de la langue à partir du rythme et du silence. C’est une écriture du silence. Ce qui n’est pas dit est le plus parlant. Le silence est pris dans la partition comme un son, une voix. Debbie Tucker Green introduit dans les dialogues des silences qui se répondent, qu’elle appelle « silences actifs », souvent ponctués par des « beats », eux- mêmes entourés parfois par des « silences » et des « temps ». C’est en ça que Lea Sawyers1 dit par exemple que c’est une écriture de la diaspora africaine.


Comment s’est opéré le déclenchement qui conduit au choix de la mise en scène ?


Ce qui est impressionnant, c’est la grande cohérence de cette écriture. C’est très rare. Non seulement il y a la composition d’une langue, avec sa rythmique et sa polyphonie, écrite comme pour une partition musicale, mais il y a aussi la forme générale de la pièce. Son économie presque géométrique, ses ellipses et ses sauts entre les scènes, séparées parfois par des « blackouts », c’est-à-dire des ruptures de lumière qui sont comme des K.O., des évanouissements. Debbie Tucker Green ne donne aucune indication de lieu mais les éléments scéniques, comme les indications de distribution, sont précis et élémentaires. Six chaises. On a l’impression qu’elle a sélectionné précisément tous les éléments et qu’elle n’utilise que ceux-là en épuisant toutes les combinaisons possibles. Tout contribue à nous mettre dans une perception troublée du temps et de l’espace, celle de l’expérience traumatique. Car c’est bien de trauma dont il s’agit, et d’actes inavouables. Dans une famille, une sœur, victime de ces actes, va attaquer le silence. Elle interroge sa famille pour les faire avouer, les amener à dire. Tout est fait au niveau de la forme et de la composition pour nous mettre au cœur du sujet qui n’arrive pas à se dire mais qui affleure dans les silences. J’aimerais qu’on se tienne au plus proche de cette radicalité et de cette simplicité. L’expérimenter au maximum. Je suis aussi très touché par la manière dont la communication est brouillée dans la pièce. Les personnages sont vulnérabilisés par la parole ou les silences, l’absence de regard ou d’écoute. Quand on n’entend plus quelqu’un, on ne le voit plus. Quand on ne le voit plus, il n’y a plus personne.


Comment as-tu construit ta distribution ?


Ça n’était pas possible avec les acteurs avec qui je travaille d’habitude, puisqu’ils sont blancs ! Debbie Tucker Green écrit le plus souvent pour des acteurs noirs. Pas seulement, ça dépend des pièces, mais là, c’est le cas. J’ai mis du temps à trouver les parents. Il y a toute une génération d’acteurs noirs qui a disparu en France. Ils n’avaient pas de travail ou leur travail n’était pas visible, alors ils sont partis. Ça commence seulement à changer depuis quelques années. On est très en retard en France par rapport à ces questions. La question que je me suis posée, aussi : de quelle famille noire s’agit-il ? Et pas juste : c’est une famille, et il se trouve que les acteurs sont noirs. Quelle famille française ? Si les enfants sont nés en France, quelle est l’origine des parents ? Même si on ne le remarque pas forcément, je voudrais quand même inscrire ces particularités, ne pas les effacer. Il y a une petite différence de langue entre les parents et les enfants, plus difficile à rendre en français qu’en anglais. En anglais, c’est assez précis socialement, géographiquement, historiquement. Dans le texte original, il y a l’accent jamaïcain, mais pas seulement. La langue anglaise accepte plus facilement les différences alors que le français aplanit tout. Ce sont des acteurs avec qui je n’avais jamais travaillé et qui ne connaissaient pas mon travail. J’en avais vu jouer certains, mais ça s’est fait surtout à la rencontre. Ça a pris du temps. Séphora Pondi connaissait déjà la pièce et ça a été une évidence dès la première rencontre pour la Fille. Je connaissais Jean-René Lemoine comme auteur et je suis allé le voir jouer. Jean-René dégage a priori quelque chose de très doux et sympathique. Et Je voulais absolument éviter d’avoir un père patibulaire et antipathique. Je voulais qu’au contraire on puisse se dire que ce n’est pas possible cette histoire. Qu’on n’en croie pas ses yeux. Parce qu’en réalité c’est vrai que le fait qu’un homme abuse sexuellement ses propres enfants, ça ne se voit pas comme le nez au milieu de la figure, c’est invisible. Les "incesteurs" sont en général des gens très banals, comme vous et moi. Je me souvenais de Nicole Dogué dans les films de Claire Denis et je savais qu’elle avait travaillé plusieurs fois avec Claude Régy, elle a un long accompagnement avec Jean-René, là aussi dès la première rencontre c’était assez évident. J’avais vu Bénédicte Mbemba aux sorties du CNSAD et je pensais à elle pour l’une des sœurs. Comme la création a été reculée, certains acteurs n’étaient plus disponibles et il a fallu changer une partie de la distribution, c’est comme ça que j’ai rencontré Josué Ndofusu Mbemba et Océane Cairaty. J’avais vu Océane dans un spectacle de Jean-René, et on m'avait parlé de Josué. Je les ai vu jouer et j’ai aussi organisé des auditions. Ça s’est fait de manière assez simple et évidente à la première rencontre.


Selon toi, quel est l'enjeu fondamental de ce texte ?


Ce que Debbie Tucker Green fait apparaître, c’est la question de la responsabilité de celui qui regarde et écoute. C’est toujours la question du témoin et de l’inaction. Dans certaines pièces, le silence fait apparaître le manque de soutien du personnage. Un défaut de la collectivité. On n’est jamais en position de jouisseur face aux victimes. Et on est toujours conscient d’être un spectateur. Ce sont des personnages très courageux, qui lancent un appel. Ils n’existent pas sans destinataires, sans témoins. Ils demandent une écoute, une reconnaissance. Sans quoi le monde est folie et douleur. Il y a une perte de la capacité à répondre à l’appel de l’autre. Debbie Tucker Green ne donne pas de leçon, ne juge pas, ne provoque pas, elle cherche seulement à ranimer, revitaliser ce sentiment : l’instinct d’une responsabilité devant la vulnérabilité de l’autre.


Le passage concret au plateau doit ouvrir des dimensions imprévisibles. Peux-tu raconter ce que réserve un tel texte dans le travail de répétition ? Quelles sont les difficultés ?


La partition du texte est très précise. L’acteur doit avoir l’humilité de respecter scrupuleusement les élisions, les indications rythmiques, les pauses, les différences de silences et de flux, les sauts et les superpositions... Ça demande une certaine virtuosité qui en même temps doit pouvoir s’effacer parce que le résultat doit donner un effet plutôt réaliste. Ce ne sont pas des conversations qu’il faut jouer, mais une musique, avec des chants différents. Une fois qu’on sait jouer la musique, on peut commencer à entendre une conversation. Recomposée par l’oreille du spectateur. Une fois que l’acteur commence à apprivoiser cette contrainte, on s’aperçoit qu’elle donne aussi une grande liberté, notamment avec les « silences actifs » qui sont de purs cadeaux offerts au secret de l’acteur. Nous avons beaucoup travaillé aussi avec les traductrices, continué à retoucher le texte pendant les répétitions. Je dirais que la plus grande difficulté est dans la situation et dans l’espace. Le fait que tous soient convoqués en même temps dans le même espace, et qu’ils n’entendent pas forcément tout ce que disent les autres. Les scènes auditives ne sont pas claires. Elles sont flottantes, comme s’il y avait des sortes de murs invisibles dans l’espace. Comme s’ils étaient un peu sourds. Ils sont dans ce que j’appelle une sorte de « marécage », une zone trouble, empêtrés dans un silence mortifère qui les rend sourds. La Fille attaque ce silence et oblige tout le monde à se repositionner. Parfois une parole éclabousse tout le monde et fait exploser les murs. D’autres fois, ce sont des paroles perdues et des murs de silence.


As-tu des appuis dramaturgiques, théoriques, etc. pour ton travail scénique ? Quels sont tes directions et tes pistes de travail pour mettre en scène ce texte ? Comment diriger les comédiens ?


Il y a déjà une somme considérable de travaux de qualité qui a été faite sur l’œuvre de Debbie Tucker Green outre-Manche. Par des chercheuses comme Lynette Goddard, Deirdre Osborne, Marissia Fragkou... En France, il y a le travail de Léa Sawyers ou Hélène Lecossois. De mon côté, je trimballe toujours un peu les mêmes questions et références que j’ai l’impression de retrouver et de redécouvrir à chaque nouveau texte qu’on travaille.
Là, il y a aussi le rap par exemple. Parce que dans le rap, il y a la nécessité de faire du bruit avec la langue. « Faites du bruit », c’est ce que disent les rappeurs. Et le rap, c’est « du bruit qui pense », comme dit le rappeur Médine. Je crois que Debbie Tucker Green partage la même volonté de ne pas être compréhensible immédiatement, mais au contraire de faire un maximum de bruit, faire du sale avec la langue. Lui redonner une étrangeté, une sensualité, une éloquence, une force. Alors que, d’habitude, on la nettoie pour avoir l’impression de bien comprendre. Boxer avec les mots pour attaquer le silence. La majorité silencieuse, d’abord, celle constituée sur le plateau avec cette famille. Et ensuite, celle tout autour. Parce qu’on peut fermer les yeux, détourner le regard de ce qu’on ne veut pas voir, mais on ne peut pas fermer les oreilles aussi facilement. J’ai surtout été très frappé par le livre de Dorothée Dussy2 Le Berceau des dominations. Anthropologie de l’inceste, où elle analyse très précisément la mécanique de l’inceste et ses conséquences sur les victimes, et où elle fait l’hypothèse terrible que l’inceste et le silence qui l’entoure sont constitutifs de l’ordre social. Je l’ai lu pendant les répétitions et j’y ai retrouvé toute la pièce. La violence du silence. L’incorporation par les enfants de l’impossibilité de parler. La surdité familiale et l’aveuglement. Et aussi le silence terrible de la société tout autour.


Quels sont tes directions et tes pistes de travail pour mettre en scène ce texte ? Comment diriger les comédiens ?


J’ai l’habitude de beaucoup diriger à l’oreille. Je dirais que pour les acteurs, le plus important ici, c’est l’écoute. L’écoute de l’autre qui est primordiale, au centre du jeu de l’acteur, ce que l’écoute de l’autre lui apporte comme force et présence. Et l’écoute commune. Pouvoir parler avec le silence des autres. Pour la Fille, sa parole, sa présence, dépendent complètement de la manière dont les autres l’écoutent ou ne l’écoutent pas. Et en même temps, il y a une communication silencieuse extrêmement développée entre les membres de cette famille par rapport à l’impossibilité de parler. Je travaille aussi beaucoup à partir d’autres œuvres, qu’elles soient littéraires, anthropologiques, philosophiques, picturales, sonores ou cinématographiques, pour créer un passé, beaucoup d’histoires dans le silence éprouvé. Pour nourrir, ne pas être seuls. Parfois, on a aussi eu recours à des improvisations sur le passé de cette famille, comme une mémoire commune.


Peux-tu nous parler du personnage du père – silencieux durant toute la pièce (2 répliques) ? Que dit-on à un comédien qui ne dit rien ? Comment l’accompagne-t-on ?


On essaye plein de choses. Jusqu’à s’apercevoir que c’est peut-être plus fort s’il bouge le moins possible. Ou très peu. Mais il ne dit pas rien. Il parle beaucoup avec ses silences et ses regards. La figure du père, on en parlait beaucoup plus au début des répétitions, c’était vraiment la figure centrale et obscure, une surface de projection. On s’est aperçu, au fur et à mesure des répétitions, que le père était moins en question que la mère. Je crois que Debbie Tucker Greenn. Il est là comme une donnée fondamentale. C’est le patriarcat. En même temps, il a l’air plutôt normal. C’est un homme comme les autres, c’est-à-dire complexe, avec une vie intérieure. Elle ne cherche pas à fabriquer un monstre et ne s’intéresse pas à la psychologie du pédocriminel. Elle ne se prend pas la tête avec ça. Et je la comprends. En un sens, il est irrécupérable. Disons qu’on sait où on est et elle ne va pas perdre son énergie à répéter ce qu’on sait déjà. Par contre, ce qui fait très mal, c’est la destruction de l’image de la mère protectrice. Tout ce qui concerne, le déni ou le possible choix de la mère d’avoir sacrifié son enfant. Le manque de solidarité féminine. C’est quelque chose qui a émergé pendant le travail.


Je sais que tu as une approche très particulière du jeu de l’acteur sur un plateau. Tu travailles des modes d’incarnation très singuliers. Tu t’appuies notamment sur une phrase de l’acteur Jean-Pierre Léaud : « Le lieu du désir de l’acteur, je peux très bien le nommer : ce n’est pas tellement d’être devant la caméra, c’est pas tellement d’être au théâtre : c’est d’être dans le box. Le box des accusés. Là où toute la société te nie » Le fait de travailler théâtralement ce texte renforce-t-il cette vision de l’acteur et de son jeu ?


Je ne sais pas. D’une certaine manière, la situation du procès est présente dans la pièce. Les personnages ne sortent pas et sont présents durant tous les échanges de parole. La situation théâtrale offre la possibilité de parler et « condamne » en quelque sorte à entendre. Sauf qu’ils n’entendent pas tout. Ce qui me questionne, c’est ce défaut de perception. Pourquoi est-ce qu’il y a des voix qu’on n’entend pas ? Elles sont rendues inaudibles. Fragilisées. Comme si on n’avait pas d’oreille alors que quelqu’un parle. Personne ne veut entendre ce que dit la fille, et chacun dans la pièce a aussi sa vérité. On a la possibilité d’être à l’intérieur de chacun sans décider tout de suite où est la vérité. Tout dépend de l’écoute et de la croyance qu’on accorde à la fille pour qu’elle ne s’effondre pas définitivement. Il y a un chemin qui se fait avec la croyance. Certains accusés ne reconnaissent pas le procès qu’on leur fait. Certains vacillent, parlent un peu, mais finissent par rejoindre le déni général. Parce que c’est trop difficile. Il faut un courage et une force extraordinaire pour ne pas être broyé par ça et lever ce secret. Pour la Fille, tout peut se défaire à une allure vertigineuse. La croyance, la confiance en sa parole sont constamment mises en doute, battues en brèche. Ça génère un malaise que nous ressentons en commun. Elle est plusieurs fois trahie dans la pièce. Peut-être même par le spectateur. C’est cruel et presque fascinant de voir avec quelle facilité peut se défaire le sentiment de justice, la reconnaissance d’une telle blessure. Personne ne peut vivre avec ça. Il y a quelque chose qui est laissé ouvert et sans défense parce que c’est très difficile d’y croire et impossible à prouver. Et c’est en général ce qui arrive dans les histoires d’inceste, quand la vérité éclate des années après les faits.


L’inceste n’est-il pas un fait humain qui appelle intrinsèquement le geste théâtral tragique ? La pièce de Debbie Tucker Green ne refonde-t-elle pas ce geste ? Mener à l’aveu et à la vérité, à la clarté, alors que tout est perdu, abîmé : n’est-ce pas là une réappropriation du tragique ? La reconnaissance est-elle possible ? N’est-on pas dans une exposition effroyable de l’irrésolu ?


Je ne sais pas trop ce qu’est le « geste théâtral tragique ». C’est un peu trop théorique pour moi. Ce qui est sûr, c’est que l’inceste - hélas un crime horriblement banal et répandu dans tous les milieux - est une transgression. Dussy en parle comme l’un des fondements de la société, car fondateur du principe de domination. Elle dit que nous sommes tous, qu’on le veuille ou non, imprégnés et plongés dans le « système du silence » autour de l’inceste. Nous sommes tous socialisés dans un ordre social, une civilisation qui interdit l’inceste et qui en même temps repose sur le silence autour des pratiques incestueuses. Que nous le voulions ou non, nous sommes tirés vers ce silence sur l'inceste. C’est un interdit, donc quand il arrive – et vu les statistiques, c’est quand même très souvent3 – on ne sait pas, ou on ne veut pas le voir. On ne veut pas en entendre parler. Ce qui est terrible, c’est que le tabou de l’inceste permet l’inceste. Il faut une force surhumaine pour le révéler, comme la Fille le fait dans la pièce, et c’est un autre geste de transgression. C’est la transgression de la loi du silence. La capacité de nommer l’ennemi. Quand on le fait, personne ne veut y croire. On a tout le monde contre soi. Les "incesteurs" en général n’ont pas grand-chose à faire quand ça explose dans la famille, ils ont juste à laisser les autres se déchirer entre eux. Une des seules choses que dit le père, c’est qu’il n’est pas obligé de parler. La vérité est rarement reconnue. Il faut que la justice intervienne après. Souvent des années après, et avec de rares résultats.
L’expérience tragique n’est peut-être pas seulement dans l’action représentée sur scène du geste de la fille, mais aussi dans et par la forme et la langue et la manière dont le silence de la famille rebondit sur celui des spectateurs, avec tout l’ébranlement mental et physique et affectif que ça suppose.


En France, nous disposons pour le moment de peu de textes traduits de Debbie Tucker Green. Malgré cela, comment caractériserais- tu son œuvre ?


C’est sûr que c’est une auteure majeure. Je ne suis pas assez anglophone pour arriver à vraiment lire toutes ces pièces, mais ce qui est remarquable c’est qu’elle tente à chaque fois quelque chose de différent. Sa langue change d’un texte à l’autre. Ce qui pose aussi des problèmes de traduction. Elle propose toujours une forme particulière. Avec des lacunes, des vides qui permettent au spectateur de rentrer dans le cadre. J’aime beaucoup l’expression de Martin Middeke qui dit que le théâtre de Debbie Tucker Green est un « espace éthique du trouble ». C’est quoi cet espace, ce trouble ? C’est l’entre deux de la rencontre. Je crois que c’est comme ces moments où on se rend compte brutalement que notre vie est raccordée à d’autres qu’on ne connaît pas. Où face à l’autre on peut se sentir soi-même comme un étranger. C’est ce que moi j’appelle le marécage. C’est quelque chose que je retrouve aussi d’une autre manière dans tes pièces. Une zone trouble où peuvent coexister à la fois la violence et la bienveillance, l’hospitalité et le rejet. Un espace où tout est possible. C’est tout ce trouble qui existe entre les personnages. Et qui se communique entre la scène et la salle. C’est celui qu’on peut sentir dans les silences. Parce que c’est au public de remplir ces vides.


  • Entretien réalisé avec Frédéric Vossier pour le Théâtre National de Strasbourg
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