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: Oui, non, peut-être...

Toujours à l’affût du geste créateur, Michel Didym se plait dans la proximité immédiate des auteurs. Sa passion des écritures l’incite à en guetter le surgissement, à le solliciter, même, en vue d’un projet particulier, d’une idée de spectacle dont il pressent l’efficacité et pour lequel il invente une forme inédite. Ceux qui suivent avec fidélité la Mousson d’été se souviennent forcément des Confessions (2001) et des Divans (2003).


Des mises en scène singulières qui engageaient un face-à-face fascinant, le rapport personnel d’un comédien et d’un spectateur, réduisant au strict minimum la distance entre eux, jusqu’à atteindre une proximité qui pouvait devenir troublante. Ces spectacles reposaient, en outre, sur des montages dramaturgiques, ils impliquaient une écriture à plusieurs, chaque auteur étant chargé de produire une séquence d’un scénario qu’on avait, comme dans un cadavre exquis, la surprise de ne découvrir que dans le déploiement de la représentation. On pourrait parler, à tout point de vue, d’une esthétique du choc. Choc des écritures. Choc de la rencontre avec l’acteur. Une véritable leçon de « traumaturgie » (pour emprunter ce terme à notre confrère Guillaume Gayet).
Le protocole de L’Examen participe d’une intention similaire et il est particulièrement efficace. La situation de l’examination, moins pittoresque, a priori, que celle de la confession ou de la psychanalyse (où le secret professionnel est de règle) a aussi pour caractéristique d’être mieux partagée. Qui ne l’a subie, un jour ou l’autre, dans le cadre de ses études, du passage de son permis de conduire ou d’un entretien d’embauche ? Qui n’a connu cette angoisse particulière : l’attente d’un résultat ? Le jour des résultats du bac, le JT se complaît dans ces reportages où l’on voit des lycéens fondre en larmes. C’est qu’on adore voir des individus en phase de réussir brillamment ou, au contraire, se rétamer complétement. La télévision exploite largement le filon avec des émissions de télé-réalité qui font un spectacle ludique et brutal d’une épreuve passée devant un jury et dans lequel, au masochisme du candidat répond le sadisme du juge. De manière générale, il est loisible d’observer que l’expertise et l’évaluation sont devenues des obsessions récurrentes de la société contemporaine où elles envahissent aussi bien le divertissement de masse que les hautes sphères de l’éducation et du pouvoir. Ne parle-t-on pas, désormais, d’une culture de la compétitivité (sic) !
Pour autant, il est fort à parier, lorsqu’on évoque un « examen », que la plupart des gens envisage la situation sous l’angle de l’examiné plutôt que sous celui de l’examinateur. Or, L’Examen auquel on nous propose ici de participer n’est pas tombé dans ce panneau. Ce sont les acteurs qui seront les examinés et les spectateurs les examinateurs. Les épreuves qui ont lieu n’ont pas grand-chose de scolaire, bien qu’un lycée serve de cadre à l’expérience et que les jurys se tiennent dans des salles de classe, ce qui confère à la représentation un étonnant réalisme. Or, qu’on le veuille ou non, on se prend très facilement au jeu. Le pouvoir accordé a beau être minime, la récompense ou la sanction toute symbolique, la responsabilité est grande. Coup de génie de la mise en scène, le temps des battements entre deux séquences, les spectateurs se retrouvent livrés à eux-mêmes, délibérant sur le cas qui vient de leur être présenté.
Écrits par cinq auteurs français et cinq auteurs allemands les monologues explorent des situations plus extravagantes les unes que les autres. Le plus saisissant est que chaque personnage, immergé jusqu’au cou dans sa propre logique, semble réellement attendre son salut des spectateurs (c’est- à-dire du jury). L’argument saugrenu de chaque tableau est magnifiquement soutenu par l’énergie des acteurs (élèves du Conservatoire et étudiants de l’Université) dont les qualités personnelles (physique, tempérament, personnalité) sont particulièrement bien mises en valeur. Chaque rôle semble taillé sur mesure pour celui qui l’endosse. Cette logique des « emplois » donne à la représentation une crédibilité d’autant plus efficace qu’elle se mesure à l’aune d’une épreuve réellement partagée. Comme disait Louis Jouvet, « le public a été bon, ce soir ».

Olivier Goetz
Temporairement contemporain n°2, 23 août 2014

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