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Cafi

+ d'infos sur le texte de Vladia Merlet
mise en scène Georges Bigot

: Mots de l'auteur

Mon envie d'écrire CAFI remonte sans doute à mon enfance. J'aimais regarder les soirs de Noël durant les longs repas de famille, cette belle et étrange femme aux dents noires, venue du bout du monde: Mémé Boc. C'est la grand-mère de mes cousines aux yeux bridés, la mère de mon oncle par alliance Pierre. Je me souviens de son odeur forte qui ne ressemblait à aucune autre: celle de la pâte noire qu'elle chiquait toute la journée. J'entendais mon oncle lui dire "demain je te ramène à Sainte-Livrade, si tu veux, maman?". Je me souviens aussi que ma grand-mère me demandait : "qu'est-ce qu'elle me dit, je ne comprends pas?'" Alors, je ne sais pas par quel miracle, mais moi, je lui traduisais. J'avais six ans et reconnaissais encore la langue charabia. C'est peut-être pour ça que Mémé Boc, en guise de remerciement, m'envoyait par la poste des kilos de Nems délicieux, cuisinés par ses soins, au grand désespoir du facteur qui s'esclaffait en déposant le colis: "Mais qu'est ce qui peut bien y avoir dans ces paquets, ça empeste ma camionnette depuis ce matin!!!"
Je vivais à l'époque en gironde, à cent cinquante kilomètres d'elle. Mais, pour moi Sainte-Livrade, ce n'était pas la France puisqu'il y avait dans ce pays, des gens qui ne parlaient pas français!!! Pourtant, Gironde et Lot-et Garonne, c'était non seulement le même pays mais c'était aussi la même région. Un peu plus tard, j'ai compris d'où venait cette belle dame: du Việt Nam.


La vie a passé et quinze ans se sont écoulés sans que je revoie cette femme. En 2004, je déménage à Villeneuve-sur-Lot tout près d'elle. Un dimanche, mon oncle m'invite chez sa mère au 'C.A.F.I.'. C'est un énorme cadeau. Je peux enfin regoûter aux Nems de mon enfance et repartir avec une poche pleine de bánh bao! Je suis heureuse de revoir cette femme mais à mon grand désespoir, je ne la comprends plus. Maintenant, je parle la langue des adultes. Ce jour-là, le choc de ce lieu est tel pour moi que je veux connaître la vie de cette femme et l'envie d'écrire son histoire naît en moi.


2009, hasard de l'histoire, je termine ma première version mais la réhabilitation du site est lancée, le camp va être rasé. Quelques jours plus tard, Mémé Boc quitte sa baraque, elle a quatre vingt six ans.


Pour écrire, je me suis inspirée des témoignages de ces français d'Indochine. J'ai essayé de coller au plus près à leurs réalités. Les prénoms, ont été choisis au hasard: Louise n'existe pas mais elle existe en chaque enfant du C.A.F.I. J'ai été accompagnée tout au long de ma recherche par Pôleth Wadbled, sociologue, avec qui nous avons échangé autour de cette histoire de rapatriés d'Indochine et du C.A.F.I. Elle a apporté des éléments de réponse qui ont nourri ce texte tout en préservant l'anonymat des personnes. Un anonymat qui tout en effaçant les récits singuliers m'a permis de révéler une situation générale car nombre d'expériences ont été vécues, partagées par une pluralité, les rendant, de ce fait, emblématiques d'une situation globale. Ce que je cherchais à exprimer.
Jouer CAFI au moment où la réhabilitation du camp est entamée, c'est faire entendre ce que les habitants du camp pensent tout bas et qu'ils ne disent qu'à 'demi-mot'. C'est un témoignage contre l'oubli, l'indifférence et l'injustice: un hommage, je l'espère, à leur combat pour la dignité.

Vladia Merlet

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