L'argument de la pièce est tiré d'un fait divers. Le 2 juin 1821, Johann Christian Woyzeck, ancien soldat, barbier sans emploi, assassine sa maîtresse. Pour le procès, la justice fait appel à l’expertise de la psychiatrie. C’est l’époque où cette jeune discipline scientifique fait son entrée dans les tribunaux. Georg Büchner s’inspire du rapport du psychiatre pour nous présenter l’histoire d'un soldat pauvre, obligé de cumuler les emplois pour finir son mois, factotum pour son capitaine et cobaye pour un médecin. Woyzeck aime Marie qui en aime d’autres. Il devient jaloux, entend des voix monter du sol et le ciel crier "comme si c’était une gorge". Büchner, mort en exil à 23 ans avant d’avoir pu achever son manuscrit, nous laisse de son drame quatre ébauches fragmentaires. Agitateur politique, philosophe, biologiste, et dramaturge,Büchner menait quatre vie en une. Sa pièce porte les traces de ses engagements.
La fable est située par son auteur entre les lumières d’une baraque foraine et la cour d’une caserne militaire. Marie Lamachère confronte le matériau des fragments de Büchner à nos propres positions subjectives contemporaines, à nos propres déterminations objectives. Elle propose d’arpenter l'écart dessiné (ou pas) par les 175 années écoulées. Et, suivant la proposition de Walter Benjamin, s’agissant de notre rapport à l'Histoire, elle nous invite à "saisir la constellation que notre propre époque forme avec telle époque antérieure" La question centrale de la pièce, "Qu’est-ce que l’homme ?" est creusée scène après scène. "Os, sable, poussière, pourriture ?" Machine sociale ou machine désirante ? Combinaison "égoïste" d’organes non sécables ? Situations après situations, les acteurs déploient l’éventail des réponses. Leur examen va de pair avec leur critique. Le docteur qui, en 1823, déclara Woyzeck moralement responsable de ses actes, le condamna à la guillotine. Pourrons-nous comprendre ce qui émeut, mobilise et motive, cœurs, corps et âmes sans en juger a priori ? Pourrons-nous discerner de ce qui est "Vrai, Beau ou Bon" dans cette histoire, sans nous transformer en "auxiliaires de police et huissiers" de l’Histoire ? Le travail des acteurs, à la fois interprètes, danseurs, joueurs et conteurs, met l’accent sur l’intelligence des dialogues et donne corps à la pensée de chaque personnage. La pièce laisse à vif la tension de l’écriture entre réalisme et poésie. Un réalisme qui ne pardonne rien à la dureté d'un monde qui semble perdre ses lumières et sombrer. Une poésie qui n'abandonne jamais complètement les personnages à une fatalité, leur ouvrant, malgré le drame, les possibilités lumineuses de l'amour, de la pensée, de la lutte, du rêve.