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Woyzeck

d'après Woyzeck de Georg Büchner
mise en scène François Parmentier

: Notes sur le projet Woyzeck

1. Le cas Woyzeck


« Je passe mes journées avec le scalpel et les nuits avec les livres. »
Correspondance de Georg Büchner pendant l’écriture de Woyzeck


Cette pièce de Büchner, la troisième et dernière, est inspirée d’un fait divers : Woyzeck a bien existé, il a bien poignardé sa femme. Büchner n’a pas eu le temps de la terminer, il meurt du typhus et nous laisse une oeuvre inachevée, fragmentée, et pourtant un matériau d’une grande richesse qui nous questionne sur le processus de déshumanisation. Woyzeck est-il victime ou coupable ? Trop lucide, trop réceptif, il cherche en vain à comprendre ce monde, qui l’instrumentalise, le tourmente, qui joue de sa condition sociale. Pressions insoutenables qui le conduisent à la déraison et au meurtre. Cette folie qui s’empare de lui n’est-t-elle pas une allégorie de la maladie de la société ? « Le monde est fou » nous dit Woyzeck. Soldat de plomb ou bien cobaye, ce personnage de Büchner est un jouet, un jouet qui va tuer. Büchner nous pose la question suivante : qu’est ce qui entraîne l’individu à la violence ?


2. Le chantier Woyzeck


L’écriture de cette pièce se poursuit avec la représentation. Voilà certainement une des particularités de Woyzeck. Les quatre ébauches laissées par Büchner sont une énigme qui demande à l’équipe de création une démarche singulière : poursuivre l’écriture.
Notre travail dans un premier temps a été de pétrir cette langue, à partir de plusieurs adaptations et traductions, et de jouer avec l’inachèvement de la pièce. Nous avons mis en relief l’aspect fragmenté de l’oeuvre, inversé et mis en abîme les segments de la pièce.
Comédiens, musiciens et vidéastes, durant trois semaines, ont interagi afin d’interroger cette écriture, de la provoquer, de la faire dissoner et résonner. Toutes les scènes nous sont apparues comme des figures qui, quand on les enchaîne, forment une ligne discontinue. Jean Christophe Bailly dans sa préface (édition de l’Arche) utilise le mot « bloc » pour évoquer les scènes : « l’enchaînement qui de bloc en bloc conduit le drame vers sa conclusion ».
Cette structure pourrait faire penser à un enchaînement de numéros de cirque, des numéros qui mettent en scène un monde qui rend fou. Des numéros de vie.
L’adaptation que je vais donc proposer de la pièce commencera par la scène du bonimenteur. L’analyse qui est faite des rapports entre les comportements humains et animaux me parait être une bonne entrée en piste pour mettre en scène ce drame.


3. Mettre en scène Woyzeck


Renoncer à l’historicité sans pour autant chercher une actualisation forcée


Büchner dépeint le monde tel qu’il est, tel qu’il a toujours été et tel qu’il sera probablement toujours : un monde qui cherche, constitué d’inégalités, défini par le pouvoir et l’oppression, un monde où l’on tue. Cette pièce est pour moi intemporelle et universelle, il s’agit d’une oeuvre philosophique qui traite de la condition humaine. Le fait divers dont s’inspire Büchner n’est qu’un point de départ. La question n’est pas de savoir pourquoi Woyzeck tue Marie, mais : qu’est-ce qui entraîne l’individu dans la violence et la démence ?
Sans tomber dans le sociologisme, il est important de traduire la condition sociale dans laquelle se trouve Woyzeck. Qu’il soit soldat, ouvrier ou chômeur, peu importe, il est sans argent, au service des autres et de fait devient une sorte d’exemple de la misère sociale.


La communauté des personnages


Chaque personnage de la pièce se définit par rapport à Woyzeck, les expériences du docteur se font sur Woyzeck, l’autorité du capitaine s’exerce sur Woyzeck, Marie trompe Woyzeck, le tambour-major rivalise Woyzeck, Andres accompagne Woyzeck. Tous se positionnent autour de Woyzeck, qui devient le centre, le foyer. Il me paraît juste que cette communauté soit là en permanence, le temps de la représentation, qu’elle forme une sorte de choeur décomposé dans un espace hors champ. Leurs présences suffisent et les rendent acteurs des pressions exercées sur Woyzeck. Tous continuent à s’adonner à leurs occupations dans cette zone périphérique. Pauvres et ignorants d’un côté et prétendus savants de l’autre ils se côtoient, se scrutent du coin de l’oeil, et participent ensemble à la déshumanisation de cette société.


Conte cruel, ou anti-conte


« Il était une fois un pauvre enfant qui n’avait plus ni père ni mère, tout était mort et il n’avait plus personne au monde. Tout était mort, alors il est parti et jour et nuit il a pleuré. Et comme il n avait plus personne sur la Terre, il voulu aller jusqu’au ciel, et la Lune le regardait si gentiment, et quand enfin il arriva sur la Lune, ce n’était qu’un morceau de bois mort, et il alla jusqu’au Soleil, mais quand il arriva sur le Soleil, ce n’était qu’un tournesol fané, et quand il arriva sur les étoiles, ce n’était que des petites mouches dorées comme si une pie grièche les avait piquées sur un prunellier, et quand il voulut retourner sur la Terre, la Terre n’était plus qu’un pot de chambre renversé, et il était tout seul, et alors il s’est assis, et il a pleuré, et il est toujours assis, et il est toujours seul. » (Extrait de la pièce)


Toute l’histoire de Woyzeck est synthétisée dans ce conte. La quête vaine de cet enfant qui cherche un refuge dans les astres pour fuir sa solitude est une analogie du parcours de Woyzeck : lui aussi souffre de la solitude humaine, et ne trouve nulle part où se réfugier. Comme l’enfant, il n’a d’avenir ni dans ce monde, ni ailleurs : « Nous autres on est toujours les malheureux dans ce monde et dans l’autre, je crois que si nous allions au Ciel, il faudrait encore aider à faire le tonnerre ». C’est par le regard de l’enfant, par ce prisme que je souhaite donner à voir la société décrite par Büchner. Cet enfant qui attend, seul, est témoin de l’aliénation de l’individu.
Pour cette raison la présence sur scène d’un enfant me semble importante, elle renforce la cruauté des actes commis par cette communauté.


Modes d’expressions


Nous mêlerons à la parole la musique. Comme pour mes précédents spectacles, je souhaite développer les interactions entre ces deux langages. Musiciens et compositeur participeront dès les premières répétitions. Batteur, guitariste et violoncelliste joueront en direct pour donner une résonance à cette écriture. Des bandes préparées seront mixées aux instruments en direct pour enrichir le langage musical et créer ainsi une vraie scénographie sonore.


4. Scénographie


L’espace scénique se divisera en trois zones : l’intérieur, l’extérieur et le périmètre d’un cercle.


Le périmètre


Cet anneau définit la trajectoire que doit parcourir Woyzeck, il répètera cette course circulaire régulièrement pendant la représentation.


L’intérieur


L’aire de jeu est définie par un plateau légèrement incliné, support de projection, d’environ huit mètres de diamètre. Cette zone centrale est un espace immatériel, c’est ici que Woyzeck pense trouver refuge, qu’il entend des voix, et c’est ici qu’il va tuer Marie. C’est également l’endroit où Woyzeck est vu de tous.
Cet espace est une sorte de puits, imagé, qui nous perd quand on regarde dedans. « Chaque homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche dessus »


L’extérieur


Ce hors champ regroupe les lieux de vies, la chambre, l’auberge, le cabinet du médecin, la salle de bain du capitaine… Il sera matérialisé par le choix d’éléments mobiliers qui traduisent le mieux l’environnement lié à chaque personnage.

François Parmentier

octobre 2012

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